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Pourquoi Naval Group hésite sur l'énorme appel d'offres de sous-marins du Canada

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Le Canada vient de lancer un appel d'offres pour acquérir 12 sous-marins conventionnels. Le Français Naval Group ne confirme pas sa participation. Emmanuel Macron est actuellement dans le pays pour une visite officielle.

C'est le nouveau contrat du siècle pour l'industrie navale. Le Canada vient de publier son appel d'offres pour se procurer pas moins de 12 sous-marins, un document d'une trentaine de pages que s'est procuré BFM Business, lequel récapitule les besoins de la marine canadienne.

Le document comporte un questionnaire détaillé auquel doivent répondre les industriels intéressés avant le 18 novembre: "une livraison avant 2035 est-elle possible?", "décrivez votre méthodologie de construction", "quel est le coût de production pour 8 unités? Pour 12?", "votre expérience au cours des 25 dernières années?", "endurance en immersion, vitesse", "capacité de charge des batteries", "des sonars", "empreinte écologique des futurs chantiers", "masse des grues", etc.

Le Canada souhaite passer au crible les projets des potentiels prétendants pour sa nouvelle flotte de sous-marins. Parmi les exigences : autonomie, vitesse, main d’œuvre locale, des bâtiments capables de percer la glace de la banquise...

Naval Group temporise, Macron en VRP?

Parmi les prétendants, plusieurs pays se seraient déjà manifestés: la Norvège, l'Allemagne, l'Espagne, la Corée du Sud, la Suède.

La France, via Naval Group, cultive pour le moment le mystère. L'industriel précise à BFM Business que "le naval de défense est un marché en forte croissance, y compris dans le domaine des sous-marins. L’annonce du Canada est celle d’un projet stratégique d’ampleur qui pourra s’avérer très structurant pour les industriels qui se positionneront. Naval Group ne commente pas les prospections ou opportunités commerciales en cours, mais le groupe dispose d'une grande expérience en France et à l'international ainsi que d'une large gamme de produits pour répondre aux besoins des marines du monde entier."

Emmanuel Macron est d'ailleurs ce jeudi en visite officielle au Canada, mais le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, ne l'accompagne pas. Officiellement, aucune discussion sur ce sujet n'est prévue. Toutefois, "la relance du partenariat stratégique avec les Canadiens dans un contexte de menaces communes, notamment la priorité que nous donnons à la sécurité en Europe et au soutien à l'Ukraine face à l'agression russe", doit être évoquée, précise-t-on à l'Élysée.

Souvenir d'une ancienne trahison

Si Naval Group ne semble pas se précipiter, c'est pour une bonne raison. En 1989, le Canada avait déjà trahi la France. Comme l’explique Louis Le Pivain, ancien cadre de la Direction des constructions navales (ancien nom de Naval Group) et vice-président du Groupement des industries de construction et activités navales dans le Magazine des ingénieurs de l’armement, à cette époque, la France avait remporté l'appel d'offres face aux Britanniques pour vendre au Canada 12 sous-marins nucléaires de type Améthyste.

Seulement, le contrat avait été torpillé au tout dernier moment, sous la pression américaine. "Un communiqué d'annulation était même tombé pendant le dîner officiel", se souvient un bon connaisseur. Washington, en substance, ne souhaitait pas voir circuler des sous-marins nucléaires de conception étrangère dans la zone.

"Le Canada est membre des 'Five Eyes', une alliance de services de renseignement comprenant la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni, les États-Unis, et l’Australie", rappelle Louis Le Pivain à BFM Business.

Bref, un AUKUS (coopération militaire formée par l'Australie, les Etats-Unis et le Royaume-Uni) avant l'heure. Une déconvenue qui rappelle évidemment la trahison australienne subie par Naval Group en 2021. Louis Le Pivain explique que "nous ne pouvons pas avancer dans ce nouveau dossier canadien sans aller voir préalablement les Américains. Les diplomates doivent aller discuter avec Washington, c'est un prérequis".

"Absence totale de fiabilité" des Canadiens

Alors Naval Group doit-il faire acte de candidature pour ce nouvel appel d'offres? Difficile d’ignorer un contrat de cette importance… Toutefois à cette question, un proche du dossier est catégorique: non.

"Les Canadiens ne se sont jamais comportés correctement", soulignant "une absence totale de fiabilité".

Un autre proche du dossier, se qualifiant lui-même de "grand brûlé du Canada", rappelle qu’en 2017, Ottawa avait "arrangé" un appel d'offres pour 15 frégates multi-missions. Naval Group et l’Italien Fincantieri, partenaires sur ce dossier, avaient été éjectés du processus, officiellement pour ne pas avoir répondu dans les délais. Lockheed Martin et BAE Systems s’étaient taillés la part du lion. Un contrat à 55 milliards de dollars.

Dans le dossier des sous-marins canadiens, la France semble pourtant avoir de nombreux atouts à faire valoir. Naval Group peut se targuer d'avoir remporté des contrats de sous-marins au Brésil, en Inde, en Indonésie, récemment aux Pays-Bas... L'industriel est un spécialiste de la "projection", du transfert de technologies, capable de faire émerger des chantiers navals sur place et de former rapidement les équipes. Sa gamme de sous-marins, en particulier le Barracuda Shortfin, pourrait convenir aux besoins canadiens. Enfin, l'entreprise dispose d'une puissante capacité de production. Or, le Canada a une exigence de taille: les délais. Ottawa veut au moins un premier sous-marin au plus tard en 2035.

Jean-Baptiste Huet Journaliste BFM Business