Pourquoi la taxe sur les superprofits pétroliers a-t-elle rapporté 40 fois moins qu'attendu?

Beaucoup de bruit pour finalement pas grand-chose. Pressé par l'opinion publique et la gauche, le gouvernement avait consenti à instaurer une taxe temporaire sur les rentes pétrolières durant la crise énergétique en décembre 2022. Un pas de côté sur son dogme fiscal qui n'a pas autant rapporté qu'espéré.
La contribution temporaire de solidarité (CES) n'a finalement dégagé que 69 millions d'euros en 2022, selon une note de blog de l'Institut des politiques publiques (IPP) publiée ce jeudi matin. Un résultat d'autant plus décevant que l'exécutif avait pourtant placé la barre assez basse. Le gouvernement espérait récupérer quelque 200 millions d'euros. Les économistes de l'IPP se montraient plus optimistes, tablant sur une contribution de 3 milliards d'euros.
Périmètre de la taxe restreint
Comment expliquer l'écart entre les diverses estimations et le modeste butin empoché par le fisc? L'auteur de la note, Laurent Bach, professeur de finances à l'Essec et coresponsable du pôle entreprises de l'IPP, signale qu'un grand nombre d'entreprises ont été exclues du périmètre sectoriel de la taxe.
"Par exemple, si vous achetez du pétrole brut et que vous revendez du pétrole raffiné, mais que vous faites appel à un sous-traitant pour l'activité de raffinage, votre marge n'est pas considérée comme un superprofit - même si vous contrôlez ce sous-traitant à 100 %", soulève l'économiste.
Ces entreprises épargnées étaient pourtant ciblées par l'accord initial conclu entre les Etats membres de l'Union européenne sur les "superprofits" des producteurs d'énergie. Leur retrait a été décidé par Bercy lors de la transposition du règlement dans le droit français.
"Environ 72 % des superprofits réalisés par les entités initialement ciblées par le règlement européen ont été soustraits à la CES sans qu'on puisse dire en quoi il ne s'agit pas de profits exceptionnels causés par la crise énergétique", pointe Laurent Bach.
Angle mort
Autre argument avancé: "l'étendue d’utilisation des pertes fiscales passées". En clair, les groupes pétroliers ont pu reporter les déficits des exercices précédents afin d'amoindrir les bénéfices soumis à la taxation. Si ce dispositif relève de la norme en ce qui concerne l'impôt sur les sociétés, l'économiste pointe néanmoins un angle mort:
"Compte tenu de l'organisation en groupe fiscal de la plupart des contribuables du secteur pétrolier, les pertes des années antérieures ont généralement déjà été utilisées pour réduire l'impôt sur les sociétés du groupe dans sa totalité (..) l'administration a fait comme si ces pertes n'avaient jamais été utilisées auparavant."
Écart de 1 à 20
Une fois ses deux raisons prises en compte, le rendement attendu passe de trois milliards à 670 millions. Ce qui reste près de 10 fois supérieur à la somme récupérée par Bercy. La faute à des marges très faibles réalisées par les groupes pétroliers en France. Stratégie "de déplacement de profits" ou "véritable inefficience relative du raffinage français"? L'expert botte en touche en raison “d'informations suffisantes".
Pour rappel, l'autre taxe visant les superprofits des énergéticiens, la contribution sur la rente inframarginale (Crim) a, elle aussi, eu un rendement en deçà des atttentes. Alors que Bercy tablait sur des recettes de 12,3 milliards, la contribution des producteurs d'électricité n'a rapporté que 625 millions d'euros. Soit un écart de 1 à 20.