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Pourquoi la pénurie de médicaments contre le cancer continue de sévir

Une campagne de mobilisation déplore l'aggravation de la pénurie de médicaments contre les cancers, y compris pédiatriques.

Une campagne de mobilisation déplore l'aggravation de la pénurie de médicaments contre les cancers, y compris pédiatriques. - AFP PHOTO / JEAN-PHILIPPE KSIAZEK JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

Alors que la Ligue contre le cancer s'alarme de la pénurie persistante de médicaments utiles mais "peu chers", l'industrie pharmaceutique se trouve interpellée. Plusieurs rapports ont suggéré des solutions industrielles ou de stockage, mais qui restent à appliquer.

Face à l'aggravation de la pénurie de médicaments contre les cancers, y compris pédiatriques, la Ligue contre le cancer a lancé une campagne de mobilisation, ce lundi.

"C'est vraiment un problème lié à la structure économique du marché du médicament", a expliqué le Pr Axel Kahn, président de la Ligue contre le cancer. "Il y a une quarantaine de médicaments d'importance majeure en oncologie qui ont fait l'objet de pénurie" au fil des années, a-t-il ajouté.

Sont essentiellement touchés des médicaments génériques, très peu chers, mais importants en cancérologie. Ces ruptures d’approvisionnement touchent des produits injectables, plus vulnérables en raison de la complexité de leur processus de fabrication, anciens et donc génériques, rappelait un rapport sénatorial datant d'octobre 2018 sur la pénuries de médicaments et de vaccins.

"Les premiers touchés sont les médicaments pas chers"

"Les premiers touchés sont toujours les médicaments pas chers, les innovations thérapeutiques qui coûtent la peau des fesses, on n'en manque jamais", renchérit le professeur Jean-Paul Vernant, hématologue engagé dans la bataille.

Dans le détail, pour les médicaments utilisés pour le traitement du cancer de la vessie (BCG intravésical, Amétycine...), difficultés, ruptures d'approvisionnement et arrêts de commercialisation ont sévi. Selon les oncologues, ils sont pourtant indispensables car étant à la base de protocoles permettant des rémissions longues voire des guérisons.

La Ligue réclame notamment des sanctions financières contre les laboratoires qui n'assumeraient pas l'approvisionnement.

Si les origines de ce problème de santé publique ont été relevées par plusieurs rapports (dépendance envers l'Asie pour les principes actifs, internationalisation et concentration de la production, complexification des contraintes réglementaires), les solutions existent aussi, suggèrent ces documents officiels.

Une voie consiste à contraindre les laboratoires à constituer des stocks suffisants pour satisfaire la demande. Un article de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020, prévoit l'obligation de constituer un stock de sécurité qui ne peut excéder quatre mois pour tout médicament.

Les labos obligés de stocker 4 mois des médicaments?

Mais neuf mois plus tard, le décret n'est toujours pas publié, regrettait récemment l'association France Assos santé. Ce lundi, celle-ci a déploré que le délai de stocks initialement évoqué soit réduit de quatre à deux mois.

Certaines associations de patients s’expriment aujourd’hui pour demander l’application d’une obligation de stockage de quatre mois à l’ensemble des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM).

Le syndicat des labos contre le stockage généralisé

Une solution que réprouve le Leem (Les entreprises du médicament), syndicat professionnel qui regroupe les principaux industriels de la pharmacie en France.

"Il s’agit majoritairement de médicaments anciens, faiblement valorisés. L’allongement excessif de la durée de stockage de ces médicaments modifierait profondément leurs conditions d’exploitation et conduirait probablement certains fournisseurs à les retirer du marché. À l'arrivée, loin de régler le problème des ruptures d’approvisionnement, une durée de stockage trop contraignante aurait donc pour effet de les aggraver" explique le Leem.

Un argument qui va dans le sens de nombreux observateurs qui, déplorant ces pénuries récurrentes de médicaments, affirment que ses causes sont essentiellement financières quoi qu’on en dise. 

Si l'État se substituait à l'industrie privée?

Parmi les autres solutions avancées, pour éviter de trop dépendre de l'Inde et de la Chine, une consisterait à ce que l’État se substitue à l’industrie privée lorsque celle-ci n'est pas capable de fournir des médicaments essentiels.

La France dispose de deux structures publiques à même de produire des médicaments indispensables non commercialisés par l'industrie pharmaceutique, l'agence générale des équipements et produits de santé (Ageps) et la pharmacie centrale des armées.

Constituer une réserve stratégique de produits de santé

Le Sénat, dans son rapport de 2018, prônait le renforcement de leurs moyens financiers "afin de faire du transfert à ces laboratoires de la production de quelques médicaments voués à un retrait du marché ou régulièrement exposés à des tensions une solution viable pour assurer la disponibilité de spécialités indispensables".

Une autre piste vise à constituer des réserves stratégiques de produits destinés à la santé civile afin de faire face à des événements extraordinaires (catastrophes naturelles, épidémies, risques biologiques, chimiques et radionucléaires,...).

"Ces réserves concerneraient en particulier certains vaccins, des anti-infectieux et des produits stériles injectables, sur le modèle des réserves stratégiques de médicaments mises en place aux États-Unis dans le cadre du Strategic National Stockpile, concluaient les sénateurs.

Frédéric Bergé
https://twitter.com/BergeFrederic Frédéric Bergé Journaliste BFM Éco