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Pourquoi l’écart entre les récessions française et allemande est sans doute surestimé

Le PIB français s'est contracté de 13,8% au deuxième trimestre

Le PIB français s'est contracté de 13,8% au deuxième trimestre - AFP

Pour mieux coller à la réalité, l'Insee a estimé que la production non-marchande hors santé (école, police, etc.) avait chuté de 25% en France pendant le confinement. Les comptables nationaux allemands ont quant à eux considéré qu'elle était inchangée. Ce qui a mécaniquement un impact sur le calcul final de la récession.

Le choc est inédit. Au deuxième trimestre, la France a connu l’une des pires récessions de la zone euro avec une contraction de son PIB de 13,8%. Sur la même période, l’économie allemande s’est également effondrée mais dans une moindre mesure (-10,1%), après un recul de l’activité de 2,2% sur les trois premiers mois de l’année (contre -5,3% dans l’Hexagone).

Comment expliquer une telle différence? Bien sûr, le confinement a été plus sévère en France qu’outre-Rhin et l’économie tricolore est particulièrement dépendante du tourisme (7,4% du PIB), secteur comptant parmi les plus fragilisés depuis le début de l’épidémie de coronavirus. Mais au-delà de ces éléments de réponse d'ordre politique et économique, une partie de l’explication relève tout simplement de la méthodologie statistique.

Comme souligné par Les Echos, les comptables nationaux n’ont pas mesuré la récession de la même façon selon les pays. Pour ce qui est du secteur marchand, il n’y a pas vraiment de débat. Les statisticiens se contentent de faire la somme des valeurs ajoutées créées par les entreprises du pays chaque année (production – consommations intermédiaires) afin d’estimer la quantité de richesse produite.

La difficile mesure de la production non marchande

En revanche, l’exercice est plus complexe lorsqu'il s'agit de mesurer le niveau d'activité du secteur public. Tout simplement parce qu'il se réfère à activité non marchande. On parle ici de services publics gratuits (école, police, juges, ramassage de poubelles…) dont la production ne peut pas, par définition, être quantifiée.

"Dans le secteur marchand, ce sont les prix de marché qui sont l’étalon des contributions au PIB, avec l’argument que, au moins à la marge, ils reflètent les utilités relatives des différents biens ou services pour le consommateur final. (…) Dans le secteur public, il n’y a pas cette possibilité de recours aux prix de marché", écrit Didier Blanchet, directeur des études et synthèses économiques à l’Insee dans une note repérée par L’Opinion.

Pour contourner l’obstacle et mesurer avec le plus de justesse possible la production des fonctionnaires, les instituts statistiques s’appuient sur les coûts de production des services publics, l’essentiel étant constitué des salaires. Une méthode qui a posé problème pendant le confinement sachant que l’Etat a maintenu la rémunération des fonctionnaires à 100%, ce qui laisse suggérer "à tort" une "constance de la production", note Didier Blanchet.

De fait, "pour ceux qui travaillent sur site ou en télétravail, leur production peut être considérée comme maintenue, voire en augmentation dans certains cas. Mais pour les employés des administrations publiques qui ne sont ni en situation de télétravail, ni sur site, (…), leurs salaires ne correspondent plus à une production et leur situation peut s’assimiler aux dispositifs d’activité partielle du secteur privé", explique encore l’Insee.

Afin de mieux coller à la réalité, l’institut de la statistique a donc décidé de modifier sa méthode en amputant de 25% les coûts des services publics et donc la valeur de la production des fonctionnaires pendant le confinement. Il considère en effet "qu’un quart des fonctionnaires, hors services de santé, n’était pas en situation de travail" sur cette période.

Dans la santé, l’institut a en revanche opté pour le statu quo, estimant que le surcroît d’activité de soins directement liés au Covid-19 a été compensé par la forte baisse des soins de ville et de l’activité des hôpitaux privés au premier semestre en raison des reports de soins.

Un impact non négligeable sur l'ampleur de la récession

La décision de l’Insee d’amputer la production des fonctionnaires en raison du confinement a eu un lourd impact sur le calcul final de la récession française. Au premier semestre, la PIB de l’Hexagone a chuté de 19% par rapport à la fin 2019 contre -12% en Allemagne qui, comme d’autres pays, a choisi de laisser le niveau de production du secteur public inchangé dans sa méthode de calcul. Hypothèse qui paraît peu probable. Or, l’écart entre les deux chiffres serait pour 3,5 à 4 points dû à la différence de production non marchande, selon Olivier Garnier, directeur général de la Banque de France.

Dit autrement, la récession en France serait de l’ordre de 15,5% et non 19% si l’Insee avait adopté la méthode allemande. "On ne sait pas si c’est parce que les fonctionnaires allemands ont plus travaillé, ou parce que l’Insee a appliqué plus sévèrement" la directive européenne sur ces statistiques, a indiqué Olivier Garnier, cité par L’Opinion.

Toujours est-il qu’avec la reprise, l’Insee va pouvoir effectuer ses prochains calculs en tenant compte de l’ensemble des salaires des fonctionnaires, ces derniers ayant repris le travail. Un retour à la méthode d’avant crise qui va automatiquement booster la croissance du PIB.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco