Pourquoi le nickel calédonien illustre "la malédiction des matières premières"

Si la réforme institutionnelle est l'étincelle des sanglantes émeutes en Nouvelle Calédonie, la poudre à l'origine de l'embrasement est peut-être faite de nickel. Ce métal dont l'archipel détient à lui seul 20 à 30% des ressources mondiales ne semble pas faire le bonheur et la prospérité des Néo-Calédoniens dont un quart travaillent directement ou indirectement dans cette industrie minière.
Pour l'économiste Philippe Chalmin, spécialiste des matières premières, invité ce mercredi sur BFM Business cette crise est une nouvelle illustration d'un principe mainte fois observé en économie.
"Il y a une vieille règle qui explique que la matière première soit un caisson de résonance de tous les problèmes géopolitiques: c'est la malédiction des matières premières, assure-t-il. On se dit que des pays détenteurs vont être des pays heureux et en général c'est le contraire."
Et l'économiste de citer un certain nombre d'exemples récents comme le pétrole au Vénézuela ou en Algérie ou encore les métaux comme le cuivre et le cobalt en République démocratique du Congo. Historiquement, les contre-exemples sont évidemment nombreux comme le pétrole en Norvège ou dans les Etats du Golfe. Mais ils témoignent du fait que les ressources ne sont pas des martingales, encore faut-il bâtir un éco-système performant pour les exploiter au mieux.
La "malédiction" peut prendre différents chemins comme la constitution d'une oligarchie qui s'accapare les richesses, la volonté de nationaliser l'ensemble de l'économie rendant le pays dépendant de la seule ressource ou encore la corruption qui gangrène les sociétés nationales en charge de l'exploitation.
Le nickel, "un objet politique"
La matière première est le plus souvent l'objet d'une concurrence politique qui a davantage tendance à la dilapider avec des mauvais choix qu'à la faire fructifier. C'est le cas du nickel en Nouvelle-Calédonie.
"Le nickel est devenu un objet politique, confirme Philippe Chalmin. Quand vous regardez la géographie politique des trois usines de nickel, il y en a une chez les indépendantistes, une gouvernementale et une plutôt loyaliste. La doctrine nickel qui disait "nous n'allons plus exporter notre minerai, nous allons le transformer", c'est un échec."
Ainsi, malgré des ressources colossales (20 à 30% du nickel mondial), l'archipel calédonien n'est que le troisième producteur mondial avec 230.000 tonnes en 2023, très loin l'Indonésie qui avec 1,8 million de tonnes a mutliplié sa production par 10 cette dernière décennie grâce au soutien de la Chine.

L'exploitation de ce minerai, qui rentre dans la composition de batteries mais surtout d'aciers inoxydables, a été difficile l'an passé avec une chute de 45% du cours, causant des pertes record pour les groupes exploitant les trois usines de l'archipel. Cela n'empêche pas le minerai d'être toujours très convoité avec une demande qui devrait tripler ces 20 prochaines années selon l'Agence internationale de l’énergie (AIE) du fait de la transition énergétique. D'ailleurs les cours du nickel sont en hausse de plus de 15% en 2024.
"Il faudrait que la Nouvelle-Calédonie pense son développement sans le nickel"
Reste à la Nouvelle-Calédonie de définir une stratégie efficace pour son précieux minerai.
"Aujourd'hui l'exportation du minerai de nickel, ça a pleinement du sens, la métallurgie du nickel, elle, est problématique, estime Philippe Chalmin. Il faudrait que la Nouvelle Calédonie pense son développement sans le nickel."
Alors que l'usine du nord a été mise en sommeil avec le départ de l'exploitant Glencore mettant en péril 1.750 emplois, la situation actuelle sur l'archipel pourrait compromettre l'arrivée de nouveaux investisseurs.
"L'usine du nord est à vendre, quel est l'investisseur suffisamment maso qui va aller investir aujourd'hui en Nouvelle Calédonie?, s'interroge l'économiste. Malheureusement pour eux, j'ai peur qu'il n'y en ait pas."
