Les industriels de la propreté lorgnent le dépeçage de Suez

C’est un véritable bing bang qui se prépare dans le secteur de la propreté en France. Le rachat de Suez par Veolia va provoquer une refonte totale de l’industrie des déchets dans le pays. De la collecte au recyclage, c’est quasiment toute la filiale de Suez, Sita, qui sera découpée et revendue par petits bouts à ses concurrents.
En France, Veolia et Suez couvrent ensemble les deux tiers du marché tous métiers confondus. Les cessions seront donc lourdes pour garantir la concurrence. Les dirigeants de Suez estiment que les activités revendues pèseront au moins la moitié de leur branche déchets en France, soit environ 1,5 milliard des 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Un argument qu’ils utilisent pour justifier que le projet de Veolia vise d’abord à démanteler Suez mais surtout à "organiser sa propre concurrence pour dix ans", explique un proche de la direction.
Depuis le début de la bataille entre les deux groupes, en septembre, les industriels des déchets étudient de près les activités de Suez qu’ils pourraient racheter. Tous sont dans les starting-blocks : Paprec, Séché, Derichebourg, Idex ou encore Remondis. "On ne manquera pas de candidats", se réjouit un proche de Veolia. Tous les métiers seront concernés: la collecte, les centres de tri, les décharges ou encore les incinérateurs. Une aubaine pour ces industriels qui rêvent de mettre la main sur les dépouilles de Suez.
La moitié de Suez à vendre dans les déchets
C’est notamment le cas de Paprec dont le PDG et fondateur Jean-Luc Petithuguenin est le plus offensif. Il planche sur les différents scénarios de rachats d’activités de Suez depuis le premier jour, en septembre dernier. Il veut élargir les métiers de son groupe, centré sur le recyclage, en mettant la main sur plusieurs incinérateurs de Suez. Grâce à Suez, Paprec espère encore grossir et passer de 1,5 à 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Son fondateur envisage même d’introduire en Bourse son groupe pour lever l’argent nécessaire à cette acquisition. Cet ancien de Veolia pousse depuis le début de la bataille le rachat de Suez dont il pourrait être le grand gagnant. Il espère ainsi devenir le numéro deux français des déchets derrière Veolia et prendre ainsi la place de Suez.
L’autre grand favori semble être l’allemand Remondis qui lorgne le marché français depuis dix ans. Il est aussi très bien connu de Veolia qui lui a vendu sa branche transport, Transdev il y a trois ans. Il avait déjà tenté de racheter la Saur en 2018 ou Coved un an plus tôt, racheté par Paprec. Cette fois, il vise le rachat d’incinérateurs, ces usines capables d’extraire de l’énergie -la chaleur- des déchets et de les rentabiliser. Son statut de nouvel acteur et d’étranger lui donne un avantage énorme vis-à-vis de la direction de la concurrence à Bruxelles qui pourrait le privilégier pour éviter la constitution d’un oligopole entre Veolia et quelques acteurs français.
Des cessions par région
Un autre groupe familial est aussi sur les rangs: c’est Derichebourg. Centré sur la collecte des déchets, il souhaite s’y renforcer ainsi que sur le recyclage. Mais il vient de signer le rachat d’une société GDE, qui pèse plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires. Par ailleurs, il "n’arrivera pas à remplir les exigences sociales demandées par Veolia et Suez" explique une source proche du dossier.
Le groupe Séché, lui, étudie aussi les ventes d’activités de Suez mais reste focalisé sur sa spécialité des déchets dangereux. Enfin, la société Idex, détenu par le fonds Antin, vise aussi le rachat d’incinérateurs qui permettraient d’alimenter ses réseaux de chaleur urbain.
Certains de ces acteurs ont déjà reçu des courriers de la Commission européenne pour dévoiler leurs intentions. Dans le cadre d’un rachat par Veolia, Bruxelles va organiser la cession des activités de Suez par région, estimant que les métiers de déchets sont très locaux. "La Commission ne voudra pas de ventes filiale par filiale mais des ensembles cohérents pour renforcer chaque acteur là où il n’est pas", explique un bon connaisseur du dossier. A priori, la Commission organiserait trois lots d’environ 500 millions d’euros.
Suez se recentre sur l'eau
Chaque industriel veut se renforcer sur les maillons de la chaîne dans lesquels il n’est pas présent. "L’idée c’est d’être présent partout, dans la collecte, le traitement et l’incinération pour être rentable au niveau régional, justifie un dirigeant du secteur. Chaque métier seul n’est pas viable".
Quoi qu’il arrive, les industriels de la propreté savent aussi que l’heure a sonné pour eux. D’ici deux ans, Veolia pourrait aussi se désengager de ces activités de collecte en France, voire de traitement. Le groupe considère qu’elles n’ont plus de réserve de croissance et ses concurrents sont moins chers. Et "même si l’OPA de Veolia échoue, Suez se recentrera sur l’eau et cèdera, à terme, une large partie de ses activités de déchets en France", assure le patron d’un de ces groupes. Le secteur de la propreté est à la veille d’une immense remise à plat alors que ses deux leaders, Veolia et Suez, vont en sortir.