Le NFP pourrait-il appliquer son programme économique vu le niveau de la dette française?

La Bourse de Paris dans le vert, une prime de risque sur la dette stable par rapport à celle de l'Allemagne... Difficile d'analyser la réaction des marchés au lendemain d'élections législatives qui paraissent laisser le pays dans une situation ingouvernable.
Pour la plupart des analystes, c'est surtout un "ouf" de soulagement qui explique cette réaction plutôt positive.
"Dans l'ensemble, les trois groupes (le NFP, le RN et Ensemble) étant loin d'une majorité, les investisseurs peuvent estimer que les résultats ont permis d'éviter les pires conséquences possibles. Mais il existe un risque que le candidat de la gauche dure Jean-Luc Mélenchon soit nommé Premier ministre. Et même s'il ne l'est pas, l'impasse parlementaire entravera les efforts visant à assainir durablement les finances publiques", estime ainsi Capital Economics.
Arrivé en tête, le Nouveau Front populaire inquiétait particulièrement les marchés avec son programme très dépensier dans un contexte très difficile pour les finances publiques. Mais en l'état, les marchés semblent ne pas croire en un gouvernement issu de cette coalition électorale à qui il manque une centaine de députés pour atteindre la majorité absolue. En excluant LFI, une formation écartée par les autres partis dans l'optique d'une hypothétique coalition, les partis de gauche comptent même moins de 120 députés.
"Il y a le rapport de force politique mais c'est surtout la réalité économique qui rend inapplicable le programme des formations de gauche, assure un économiste. Ça ne se fera pas, ça ne peut se faire."
Près de 300 milliards de besoin de financement
Pour rappel, la dette nette des administrations publiques est remonté au premier trimestre à 110,7% du PIB contre 109,9% fin 2023.
Concernant le déficit public, le gouvernement a revu en avril sa trajectoire à 5,1% du PIB pour 2024 contre 4,4% initialement espéré. Concrètement, l'Etat va dépenser cette année 144 milliards d'euros de plus que ses recettes. Si on ajoute les 156 milliards d'euros d'amortissement de la dette qui arrive à échéance en 2024, cela porte le besoin de financement du pays à 295,8 milliards d'euros.
Le NFP envisage un sursaut de dépenses publiques d'environ 150 milliards d'euros à horizon 2027 qui seraient entièrement compensé selon ses calculs par une hausse de recettes.
Mais selon des chiffrages indépendants, les dépenses seraient supérieures de plus de 80 milliards d'euros par an aux calculs de la coalition politique, soit aux alentours de 230 milliards d'euros.
Selon les estimations de l’Institut Montaigne, les 233 milliards d'euros de dépenses nouvelles et moindres recettes sur 3 ans correspondent à 8 points de PIB, et représentent donc un poids significatif pour les finances publiques.
"Ces dépenses s’articulent essentiellement autour de la mise en place de nouveaux droits pour la retraite, d’accroissements de salaires et d’aides sociales ainsi que de nouvelles prestations, indique l'institut. S’y ajoutent de nombreux services supplémentaires et, accessoirement, une baisse d’impôt pérenne de TICFE (taxe sur l’électricité)."
Une explosion des déficits?
Ainsi dans le détail, ce serait 58 milliards d'euros par an pour abroger la réforme des retraites et restaurer les 60 ans d'âge légal, 19 milliards d'euros pour le Smic à 1600 euros, 13,4 milliards pour l'indexation de la retraite sur les salaires, 13 milliards pour la gratuité intégrale à l'école (cantine, fournitures, transports, périscolaires).
Dans le même temps, les recettes grimperaient de 54 milliards d'euros: 15 milliard pour la taxe des superprofits, 6 milliards pour l'augmentation des cotisations ou encore 3 milliards pour la suppression de la flat tax et la création d'une exit tax.
Le bouclage serait donc déficitaire de l'ordre de 179 milliards d'euros par an, soit 6,3 points de PIB, selon les calculs de l'Institut Montaigne, pour qui le déficit pourrait avoisiner les 10% du PIB à horizon 2027.
"Le Nouveau Front populaire assume le coût important de son programme et l’insuffisance des seules mesures fiscales pour le financer, indiquent les auteurs. Il fait en effet le pari que les dépenses publiques créeront davantage de richesses, selon un effet multiplicateur particulièrement fort, parfois nommé “consommation populaire” par certains responsables du Nouveau Front populaire." Ce programme apparaît difficilement soutenable pour l’économie française.
Dans une note, ce lundi, Oddo, établissement bancaire, rappelle les précédentes tentatives de mise en place de politiques ouvertement dépensières. "En 1981, une politique de relance keynésienne à rebours de ce que font les pays voisins de la France a creusé les déficits extérieurs et obligé à de nombreuses dévaluations du franc, explique Bruno Cavalier, chef économiste d'Oddo. Deux ans plus tard, devant le constat d’échec, c’est le tournant vers une politique de rigueur visant à rétablir les grands équilibres extérieurs et budgétaires. La différence par rapport à aujourd’hui est que la dette publique était de 23% du PIB en 1981. Aujourd'hui, c’est 111%."
Il n'y a pas de niveau au-delà duquel la dette deviendrait insoutenable pour le pays. Néanmoins une réaction négative des marchés entraine un surenchérissement du taux des obligations françaises et donc un financement de plus en plus coûteux. La charge de la dette (les intérêts payés aux investisseurs qui détiennent des obligations d'Etat) devraient représenter 55 milliards d'euros en 2024 et pourraient devenir d'ici 2026 le premier poste de dépense de l'Etat (le troisième aujourd'hui derrière l'Education et les Armées).
"La prime de risque française n’a pas de raison de rebaisser au niveau d’il y a un mois quand ce risque n’existait pas, indique Bruno Cavalier. Elle aurait plutôt des raisons d’augmenter si le processus budgétaire prend du retard ou si l’orientation choisie éloigne la France d’une trajectoire crédible d’assainissement des comptes publics."
