Le gendarme de la concurrence surveille la domination de Vincent Bolloré dans l’édition

Vincent Bolloré le 19 avril 2018 à Paris - ERIC PIERMONT © 2019 AFP
Dans le monde de l’édition, tout le monde ne parle que de ça. L’arrivée de Vincent Bolloré comme premier actionnaire de Lagardère (27%) secoue l’industrie du livre. Et pour cause, le groupe qu’il contrôle, Vivendi, détient Editis le numéro deux français alors que Lagardère est propriétaire du leader Hachette. Les autres groupes d’édition, Media Participations (Le Seuil), Madrigall (Gallimard, Flammarion), Albin Michel ou Odile Jacob, craignent une mainmise de Vincent Bolloré sur tout le secteur. "Le risque est qu’il rebatte les cartes et aboutisse à une forme de duopole", s’inquiète le patron d’une grande maison d’édition.
Les éditeurs ne sont pas les seuls à scruter les manœuvres de Vivendi. Selon nos informations, l’Autorité de la concurrence étudie de près les accords passés entre Lagardère et Vivendi. "Elle a bien identifié les sujets qui pourraient poser problème" confirme une source proche du dossier. D’abord le risque de prise de contrôlé déguisée de Vivendi dans l’édition, malgré une participation minoritaire de 27% chez Lagardère. L’Autorité de la concurrence va éplucher les décisions prises dans les mois à venir pour juger l’influence réelle de Vincent Bolloré sur Hachette.
Le cas d’école Europe 1
Elle scrute de près la situation d’Europe1 qui pourrait servir de cas d’école. Le rapprochement de la station du groupe Lagardère avec CNews, la chaine d’informations de Canal+/Vivendi, pose les mêmes questions. A la rentrée, plusieurs émissions seront co-diffusées sur les deux antennes, comme l’a été le défilé du 14 juillet. Jusqu’où porte l’influence de Vincent Bolloré chez Europe1? Y a-t-il une prise de contrôle opérationnelle sur les activités de Lagardère?
Vivendi rappelle que pour éviter des conflits d’intérêts, son patron opérationnel, Arnaud de Puyfontaine, quittera le conseil d’administration de Lagardère lorsque celui-ci traitera des questions sur Hachette. Et pour cause, car il est aussi président d’Editis. Ce qui ne sera pas le cas des deux autres administratrices que Vivendi a choisies, Virginie Banet et Laura Carrere, considérées comme indépendantes car elles ne travaillent pas pour le groupe. La position de Pierre Leroy, à la fois PDG d’Hachette et directeur général délégué de Lagardère sera aussi scruté par l’anti-trust comme potentielle courroie de transmission d’informations sensibles. Ces mesures ne convainquent pas les autres éditeurs. "Quand on voit ce qui se passe entre CNews et Europe1, on ne peut être que sceptique" déplore le dirigeant d’une maison concurrente.
L’Autorité de la concurrence va également s’interroger sur les risques "d’entente" entre les deux leaders de l’édition. A ce titre, plusieurs éditeurs concurrents ont déjà exprimé leurs craintes, expliquent plusieurs sources. "Dans les livres scolaires, Hachette et Editis pourraient se partager les ouvrages par classe par exemple pour éviter de se faire concurrence, explique le patron d’une maison indépendante. Même chose pour les livres de poche". Chez Vivendi, silence radio pour le moment. Toutefois, un proche de Vincent Bolloré assure que les deux groupes "ne se parlent pa", tout en reconnaissant qu’il souhaite des "coopérations" entre Hachette et Editis. Pour l’Autorité de la concurrence, toute la question est de déterminer quand la coopération bascule en entente.
Jeu de bonneteau
Pour les concurrents d’Hachette (Lagardère) et d’Editis (Vivendi), la mainmise de Vincent Bolloré sur l’édition française fait aussi craindre une recomposition de tout le secteur. L’entourage du patron breton ne cache pas qu’il rêve de marier les deux éditeurs français, notamment pour récupérer les activités internationales d’Hachette. Un schéma qu’il avait tenté d’imposer à Arnaud Lagardère fin 2020, comme BFM Business l’avait révélé.
Aujourd’hui, c’est le scénario inverse qui circule : "Vivendi pourrait découper Editis pour l’apporter à Hachette" explique une source proche du dossier. "Il devrait revendre les livres scolaires et poche d’Editis pour éviter les obstacles de concurrence voire son distributeur, Interforum, pour se greffer à celui d’Hachette". Un scénario qui serait privilégié par Arnaud Lagardère, nous explique un de ses proches, qui milite pour conserver l’intégrité d’Hachette.
Sac de nœuds
A la position de Vincent Bolloré chez Editis et Hachette s’ajoute celle de Bernard Arnault. Le PDG de LVMH est un actionnaire minoritaire de Lagardère (7%) mais il est associé à son patron, Arnaud Lagardère. Il est aussi actionnaire, certes minoritaire (9,5%), du groupe Gallimard, le troisième éditeur français. Son bras droit, Nicolas Bazire siège au conseil d’administration de la maison d’édition et dirige la société de Bernard Arnault (Financière Agache) qui est actionnaire de Lagardère. Depuis plusieurs mois, on prête à l’homme le plus riche de France le souhait de mettre la main sur des maisons d’édition prestigieuses d’Hachette comme Grasset, Fayard ou Calmann Levy.
"Avec tous ces acteurs, l’édition française ressemble à un vrai sac de nœuds", s’emporte un éditeur. Car le secteur bruisse aussi de rumeurs sur l’avenir d’Albin Michel, une des rares maisons encore indépendantes. Elle pourrait être vendue et, selon une source, intéresser le quatrième acteur français, Média-Participations, propriétaire des éditions Le Seuil ou La Martinière. Dans tous les cas, il faudra composer avec Hachette, le partenaire historique d’Albin Michel, qui gère la distribution de ses livres. Et donc au bout du compte, avec l’aval de Vincent Bolloré.
Dans l’entourage de Lagardère, personne ne croit au statu quo. "Les conflits d’intérêts sont tels dans l’édition que ça ne tiendra pas longtemps, décrypte un protagoniste du dossier. Vivendi bougera rapidement". Depuis un an, le groupe ne cache pas qu’il est prêt à un mariage complexe entre Hachette et Editis, malgré les lourdes cessions que l’Autorité de la concurrence lui imposerait. "Vivendi a déjà réalisé une opération aussi complexe quand Universal a racheté EMI, note un proche du groupe. Ils ont passé deux ans à découper, vendre et réorganiser". Avec le succès qu’on connait: Universal va être introduit en Bourse en septembre pour plus de 30 milliards d’euros.