Turquie: pourquoi la politique économique menée par Erdogan n'est "pas soutenable"
L'économie turque fonce-t-elle dans le mur? La réélection de Recep Tayyip Erdogan n'a en tout cas pas estompé les inquiétudes de bon nombre d'observateurs. La chute de la livre turque, qui a fait grimpé l'inflation jusqu'à 85% à l'automne, était vue comme une épine dans le pied du président Erdogan. Mais le chef de l'Etat, qui a relevé par trois fois en un an le salaire minimum, a multiplié les promesses de campagne, parmi lesquelles le doublement du salaire des fonctionnaires.
Des promesses trop ambitieuses?
Ces "mesures populistes" ont convaincu une frange de l'électorat, dans une Turquie où "le vote économique n'est pas si important que l'affirment les commentateurs", estime Berk Esen, chercheur en sciences politiques à l'université Sabanci d'Istanbul.
"Hier, Erdogan a dit lors d'un discours: 'on a réussi à baisser les taux d’intérêt et on va réussir à baisser l’inflation'. Mais comment il y arrive? S’il continue comme ça, la Turquie sera obligée de faire des contrôles de capitaux et on va retourner à une forme d’économie fermée", s'inquiète l'économiste Deniz Ünal sur BFM Business.
Pour remettre l'économie sur les rails, l'opposition promettait de relever les taux d'intérêt afin de ramener l'inflation "à un chiffre d'ici deux ans". Umit Akçay, professeur d'économie internationale, juge que ces promesses de l'opposition, susceptibles de freiner l'activité, "n'ont pas suscité d'enthousiasme chez les personnes déjà en difficulté".
L'inflation ronge le pays
Plus qu'une priorité ce sera une urgence pour soulager une population à bout de souffle: l'inflation officielle restait en avril à plus de 40% sur un an après avoir dépassé les 85% à l'automne, résultat d'une baisse régulière des taux d'intérêt voulue par le président Erdogan.
Entre août et février, le principal taux directeur a été abaissé de 14% à 8,5%, des baisses justifiées par la banque centrale par le souci de soutenir "l'emploi et la production industrielle". Recep Tayyip Erdogan affirme, à rebours des théories économiques classiques, que les taux d'intérêt élevés favorisent l'inflation et il a indiqué pendant sa campagne qu'il n'avait aucune intention de les relever.
Une politique monétaire insoutenable
La livre turque a perdu plus de la moitié de sa valeur en deux ans et a atteint cette semaine les 20 livres pour un dollar. Selon les données officielles, Ankara a dépensé 25 milliards de dollars en un mois pour la soutenir. Mais son effondrement semble inéluctable. D'autant que les réserves en devises sont passées dans le rouge pour la première fois depuis 2002.
"Jusqu’à présent, le gouvernement vend des réserves de change pour soutenir la livre turque vis-à-vis du dollar et il y est arrivé car on est sur un marché réduit pour la livre turque, explique Deniz Ünal, spécialiste de la Turquie […] Mais ce n’est pas une politique soutenable car la Banque centrale a des réserves dans le négatif."
Réélu pour un troisième mandat à la tête du pays, Recep Tayyip Erdogan dispose désormais de cinq ans supplémentaires pour redresser l'économie turque.