Trump snobe Apple, méprise Musk mais adore le patron de Nvidia: comment Jensen Huang est devenu le boss de la tech qui influence le plus la Maison Blanche

La volte-face n'est pas passée inaperçue, en plein contexte de tensions commerciales entre Pékin et Washington: mi-juillet, Nvidia a annoncé reprendre les ventes à la Chine de son modèle de puces H20, son modèle-star, prisé pour faire tourner des modèles d'intelligence artificielle.
La nouvelle porte le sceau d'un homme: Jensen Huang. Le CEO de Nvidia devait se déplacer le lendemain à Pékin, et a obtenu ce qu'il souhaitait avant de partir, soit l'arrêt momentané d'un embargo qui aura coûté à son entreprise 4,5 milliards de dollars.
Le fondateur de l'entreprise la plus valorisée au monde (la seule dont la capitalisation dépasse les 4.000 milliards de dollars) est le nouvel homme fort à Washington.
Car le changement de stratégie, impulsé par la Maison Blanche, doit beaucoup au lobbying de Nvidia, ce dont la firme se défend. Pourtant, Jensen Huang a multiplié les apparitions et prises de parole publiques, voyagé auprès de Donald Trump, et même été entendu au Congrès dans le cadre d'une enquête sur le sujet.
Celui que les "affaires publiques" rebutaient a dû faire face à l'implication de son entreprise, malgré elle, dans les stratégies diplomatiques américaines: craignant l'emploi des puces Nvidia par l'armée chinoise, l'administration Biden avait interdit la vente de H20 à Pékin.
Jensen Huang a alors poussé pour une révolution copernicienne dans l'approche de ce problème: plutôt que de considérer l'emploi de ces puces comme une menace pour la sécurité américaine, le patron a défendu auprès des autorités l'idée qu'elles permettraient au contraire de maintenir un avantage compétitif et militaire. Pékin a déjà surpris le monde avec DeepSeek, modèle capable de rivaliser à peu de frais avec les modèles d'IA américains, et Nvidia a défendu l'idée qu'il fallait permettre l'exportation de puces, pour que la Chine ne développe pas ses propres moutures.
Un argumentaire qui a fini par payer. Deux mois plus tôt, Huang avait déjà participé au méga-deal signé entre les États-Unis et les Émirats Arabes Unis: Nvidia gagnait alors des milliers de ventes de puces, quand Washington établissait un lien diplomatique fort avec un acteur du Moyen-Orient, capable de financer ses entreprises technologiques à coups de centaines de milliards de dollars.
Mieux vu qu'Apple... ou que Tesla
Nvidia, qui détient 90% du marchés des puces destinées à l'IA, est donc devenu une arme géopolitique massive pour Washington. Dans le même temps, son patron a pris une place privilégiée auprès de l'administration, grâce au déclin d'autres grandes figures. Plébiscitée pendant des années, Apple a par exemple vu son influence décliner ces derniers temps, du fait des tensions commerciales. Le fabricant de l'iPhone a délocalisé leur production vers l'Inde, pour partie, afin d'éviter un éventuel blocage de ses activités en Chine.
En mai, Donald Trump en a fait la remarque à son CEO, Tim Cook.
"J'ai eu un petit problème avec Tim Cook. Je lui ai dit, Tim, nous vous traitons bien, nous nous débrouillons avec toutes les usines que vous avez en Chine depuis longtemps. Nous ne sommes pas intéressés par vos usines en Inde, l'Inde peut s'occuper d'elle-même... Nous voulons que vous construisiez ici", avait précisé le président américain.
Les promesses d'Apple d'investir 500 milliards de dollars aux États-Unis n'auront pas suffi à apaiser l'administration républicaine, qui aurait aimé relocaliser une production d'iPhone pourtant utopique. Même constat pour Elon Musk, un temps l'allié idéal de Donald Trump à la tête du DOGE (Department of Government Efficiency), qu'il a fini par quitter. Les deux hommes sont en désaccord profond depuis et se sont livrés à des joutes verbales sur les réseaux sociaux. Surtout, Trump menace de priver Tesla de subventions, alors que la firme a touché 6,3 milliards de dollars de subventions en 2024, et que les six entreprises de l'homme d'affaires totalisent 20 milliards de dollars de contrats gouvernementaux.
Ne restent donc dans l'entourage proche de Donald Trump plus que deux grands patrons de la tech: le fantasque et puissant fondateur d'Oracle, Larry Ellison, un partenaire et proche de longue date. Il a l'attention de la Maison Blanche dans le dossier du rachat de TikTok aux États-Unis. Et Jensen Huang, donc, qui a l'oreille de David Sacks, conseiller de Trump pour l'IA et les cryptomonnaies. Sacks, milliardaire autoproclamé "tsar" et membre de la "mafia PayPal", un groupe influent de la Silicon Valley, le rejoint sur son analyse du conflit technologique avec la Chine.
Nvidia n'est qu'un concepteur, pas un producteur
Les puces Nvidia sont, qui plus est, prisées par tous les autres géants californiens, pas compétitifs - ou pas intéressées - pour l'élaboration de leurs propres outils. Les rivaux de Nvidia, comme Arm, n'ont jamais atteint sa puissance, et les technologies GPU (Graphics Processing Unit) de Nvidia, issues au départ du jeu vidéo, restent les plus adaptées au développment de modèles d'intelligence artificielle. Seul Google a développé une alternative crédible, les TPU (Tensor Processing Unit) - OpenAI vient d'en acheter pour diversifier ses approvisionnements.
Mais Jensen Huang va néanmoins devoir encore batailler dans les mois à venir. Le ministère américain du Commerce a ouvert en avril une enquête sur les semiconducteurs, pour comprendre l'impact de ce secteur sur la sécurité nationale. Les conclusions sont encore attendues - et dans le cadre des enquêtes similaires menées sur l'acier et l'aluminium, des droits de douane avaient finalement été imposés.
Surtout, Nvidia a un talon d'Achille, dans la guerre commerciale enclenchée tous azimuts par l'administration Trump: elle ne fabrique rien. Le groupe ne fait "que" concevoir ses puces, dont il délègue ensuite l'étape du fondage à une autre entreprise, TSMC - après un détour inévitable aux Pays-Bas, chez ASML. Or la firme est basée à Taïwan, où la Chine revendique de longue date sa domination.
Pour l'instant, TSMC est au sommet de son art - avec des bénéfices annuels en hausse de 61% postés ce mois de juillet. Le président de TSMC, C. C. Wei, a également salué le retour des puces H20 en Chine, comme une "excellente nouvelle". Mais l'attitude chinoise à l'égard de Taïwan demeure hostile. En cas d'invasion, c'est tout l'édifice Nvidia, et son influence auprès de la présidence américaine, qui tanguerait.