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Qu'est-ce que cette "guerre de la fraise" entre l'Allemagne et l'Espagne?

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Une ONG berlinoise fait signer une pétition en ligne pour retirer des étals allemands une bonne partie des fraises d'Espagne. Un contentieux politique se prolonge jusqu'aux élections espagnoles.

Une prétendue "guerre" - environnementale et commerciale - a éclaté entre l'Espagne et l'Allemagne. Son propos : la place d'une fraise espagnole dans les rayons allemands. L'ONG "citoyenne" berlinoise Campact a lancé une pétition pour que les chaînes de supermarchés germaniques (Edeka, Aldi, Lidl…) retirent de leurs étals les fraises de la province andalouse de Huelva, la plus importante région d’exportation de ce fruit. Mardi, elle recueillait plus de 160.000 signatures.

L'ONG reproche au Parti populaire espagnol (conservateur), à la tête de l’exécutif de la province, d'avoir adopté un texte qui régulariserait des exploitations illégales situées à proximité de Doñana, un parc naturel classé à l’Unesco dans lequel trouvent refuge des oiseaux migrateurs. Campact dénonce, par ailleurs, une captation d’eau, supposément illégitime, afin de produire cette fraise de Huelva, en illustrant cela par la photo au grand-angle d’une barquette posée dans un immense espace desséché.

Débat économico-environnemental

La correspondante à Berlin d’un quotidien de Barcelone, El Periodico, constatait que cet appel au boycott passait encore assez inaperçu, jusqu'ici, auprès du consommateur allemand. Néanmoins, souligne-t-elle aussi, "le nom de Doñana et le problème de son assèchement ou de son irrigation irrégulière apparaissent depuis un certain temps dans les actualités des grands médias allemands". Il n'est donc pas à écarter que l'histoire finisse par prendre.

Sous un prisme économique, on parle là d'un chiffre d’affaires annuel avoisinant les 600 millions d’euros, sachant que la grande distribution allemande demeure le premier débouché de cette fraise de la discorde. Des contacts ont été engagés avec ces chaînes pour une "clarification".

De son côté, Interfresa, le groupement de la filière espagnole, assure se conformer aux "protocoles les plus exigeants" et réclame des autorités une action "dans l’intérêt général", celui d’une production représentant 11,3% du produit intérieur brut régional et 260.000 emplois directs et indirects.

Conflit politique interne en Espagne

Les prolongements politiques de l'affaire n'ont pas manqué de survenir. Le gouvernement de gauche espagnol s’en prend à ce qu’il qualifie de "négationnisme" climatique de cette droite régionale exposant l’Andalousie à des sanctions de l’Union européenne.

Le président d’Interfresa, Jose Luis Garcia-Palacios, considère, lui, que son propre État affronte la profession. Sur la radio espagnole COPE, il demandait le 1er juin si quelqu’un pouvait imaginer que la chancelière allemande en 2014-2015, Angela Merkel, ait pu songer procéder de la sorte en soutenant un boycott de l’automobile de son pays après qu’a éclaté le scandale des moteurs de Volkswagen.

Vu par le quotidien bavarois Süddeutsche Zeitung, l’Allemagne se trouve coincée au milieu d’un "conflit espagnol faisant rage pour une culture durable". Sauf que c’est bien Berlin qui le traite aussi en contentieux de dimension européenne: une délégation de neuf députés allemands, tous courants politiques confondus, est arrivée dimanche en Espagne pour une visite d’information, présentée comme "technique", autour de cette production.

En pleine ascension, la droite nationaliste espagnole de Vox, appuyant le Parti populaire qui dirige l’Andalousie, en a parlé comme d’une "ingérence extérieure qu’aucun gouvernement décent ne devrait tolérer".

Tensions entre l'Espagne et l'Allemagne

Un média en ligne conservateur madrilène, El Debate, considère que l’appel de Campact sert en réalité de paravent à des "intérêts proches" des sociaux-démocrates du chancelier Olaf Scholz, solidaires de leurs collègues socialistes au pouvoir à Madrid depuis bientôt cinq ans.

En conséquence de quoi, les parlementaires allemands rebroussent chemin: ils ont suspendu leur mission, en invoquant la proximité des élections législatives anticipées espagnoles, convoquées pour le 23 juillet.

La commission de l’environnement de la Chambre basse à Berlin a jugé utilie de publier un communiqué au ton solennel, disposant que "les relations germano-espagnoles se caractérisent par un profond respect mutuel pour les institutions et les processus démocratiques de l'autre". Se prononceront le client de supermarché aujourd'hui, l’électeur le mois prochain.

Benaouda Abdeddaïm Editorialiste international