Jordanie: un mariage princier très diplomatique dans un contexte économique précaire
Dans le faste, l'héritier de la monarchie hachémite, Hussein ben Abdallah, a épousé une architecte saoudienne, Rajwa al-Saif, issue d’une influente famille proche de celle qui règne en Arabie saoudite.
A la façon dont l'arbre généalogique de la nouvelle princesse est détaillé par les médias saoudiens, on saisit que cette union est déjà conçue comme un facteur de resserrement des liens entre Riyad et Amman, quitte à prendre des libertés avec les traditions.
Les célébrations diffusées, jusque dans la prononciation des vœux des jeunes mariés, l’ont été sous une forme peu coutumière des monarchies arabes, notamment au travers de la présence du prince et de la princesse de Galles, du roi des Pays-Bas, du roi de Malaisie, ou bien encore de deux membres de la maison impériale japonaise.
Consolider les liens avec les Etats-Unis
La presse saoudienne ne manque pas de décrire avec précision "le look de mariée", à la façon des magazines européens traitant du gotha: Rajwa al Hussein portait d’abord une robe du couturier libanais Elie Saab, "adoré des célébrités", est-il précisé, puis à la réception officielle, le choix s’est porté sur une création Dolce & Gabbana.
Il est aussi à relever que la première dame des Etats-Unis a fait le déplacement, en ayant auparavant enregistré une vidéo de félicitations aux côtés de son époux, souhaitant "une vie de gaieté" aux jeunes mariés, Joe Biden déclarant aussi sa volonté d’approfondir "la relation d’amitié" entre les peuples américain et jordanien. Le prince Hussein, qui a effectué ses études supérieures à Washington, a déjà eu l'occasion de rencontré le président Biden.
Ces attentions toutes particulières attestent de la volonté des Etats-Unis de consolider le facteur stabilisateur de la Jordanie au Moyen-Orient, dans le sens en tout cas des intérêts des Etats-Unis, qui y disposent de bases militaires et entretiennent des relations étroites avec ses services de sécurité.
Tourner la page de la tentative de déstabilisation
L’intention est encore de s’assurer qu’est définitivement refermée la page qui a secoué la monarchie jordanienne en avril 2021. Hamza, demi-frère du roi et ancien héritier du trône, a été accusé d’une tentative de déstabilisation, avec alors un soutien indirect en provenance d’Arabie Saoudite.
Un conseiller proche du prince héritier saoudien Mohammed ben Salman avait été arrêté peu après à Amman. Le danger était vu comme d'autant plus substantiel que le frère du roi passait pour une personnalité populaire, plus en phase tout du moins avec les réalites sociologiques jordaniennes.
Dans une intervention devant un centre d'études stratégiques, une spécialiste du pays, Bessma Momani, professeur de science politique à l’université de Waterloo (Canada), a ainsi dit "pouvoir imaginer le roi Abdallah plus à l'aise dans les cercles de l'élite d'Amman, alors que le prince Hamza est très à l'aise assis dans le salon des anciens de tribus pour parler de la vie".
Un chômage fort et des "manifestations de la dignité"
L’arrière-plan économique et social de ce mariage en grande pompe demeure précaire. Le Fonds monétaire international a conduit une mission approfondie le mois dernier, en tablant sur une prévision de croissance économique cette année de 2,3 %. Satisfait de la façon dont le gouvernement a mené le programme de réformes prévues, le chef de cette mission du FMI, Ron von Rooden, a même qualifié la Jordanie "d’exemple de réussite, parce qu’elle a constamment mis en œuvre des politiques macroéconomiques, budgétaire et monétaires saines".
Dans un rapport en mars, l’agence de notation financière Standard & Poors a tout autant estimé que le pays allait de l’avant. Mais, par ailleurs, le FMI souligne que ce n’est certainement pas avec 2 % ou 3 % que les conditions de vie des Jordaniens sont susceptibles de s’améliorer.
La Banque mondiale s'alarmait fin 2022 de la montée du chômage - officiel -, qui frôle les 23 %. Et il y a moins d’un mois, dans un rapport sur la pauvreté, cette institution a alerté sur un risque de choc, du fait d’une compression du revenu réel, de la faiblesse du marché du travail et de la productivité. Beaucoup d'analystes ont encore à l'esprit les protestations populaires qui se sont déroulées en fin d'année dernière sur fond de hausses des prix du carburant. Les camionneurs, en pointe, avaient parlé de "manifestations de la dignité".
Ces derniers jours, l’atmosphère telle qu’elle a été présentée se voulait, par contraste, celle d’une communion nationale. Les Jordaniens ont eu droit à toute sortes de concerts, feux d’artifice et spectacles.