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"Les Français ne veulent pas entendre", "on est coincé dans l'Union avec eux"... La presse européenne tire à boulets rouges sur l'Hexagone

La foule lors de la manifestation du mercredi 10 septembre lors du mouvement "Bloquons tout", à Nantes (Loire-Atlantique).

La foule lors de la manifestation du mercredi 10 septembre lors du mouvement "Bloquons tout", à Nantes (Loire-Atlantique). - Sebastien Salom-Gomis / AFP

En ce jeudi 18 septembre de mobilisation, toute l'Europe a les yeux rivés sur la France. Si les médias des pays voisins écartent un scénario à la grecque pour le pays, ils jugent que la situation financière et politique du pays est insoluble.

La visite royale de Donald Trump? La situation à Gaza? Les stars de la télé américaine évincées sous pression de la Maison blanche? Non. La une du site du quotidien britannique The Guardian est consacrée à la France.

"La France se prépare à l'une de ses plus grandes journées de grève de ces dernières années", écrit le journal de centre-gauche dans un article factuel.

Du côté du journal populaire Daily Mail on s'attarde sur les perturbations et les arrestations matinales. "La fureur anti-Macron s'empare une fois de plus de la France avec près d'un million de personnes prêtes à descendre dans la rue et des manifestants déjà en conflit avec la police lors de la 'journée de colère'", attaque un long article du quotidien qui fait la part belle aux photos d'émeutiers.

La une du site du site anglais de The Guardian ce jeudi 18 septembre.
La une du site du site anglais de The Guardian ce jeudi 18 septembre. © The Guardian

Du côté des Pays-Bas, c'est surtout la situation économique du pays qui inquiète.

"La France est-elle la nouvelle Grèce?", s'interroge le chroniqueur Pierre de Waard dans un éditorial de de Volkskrant, rappelant comment la Grèce a failli sombrer après avoir maquillé ses chiffres de déficit (15,7% au lieu de... 3,7%), ce qui avait entraîné une flambée sans précédent des taux d'emprunt du pays à 33%.

"Mais la France n'est pas la Grèce, assure-t-il. Elle n'est pas à la périphérie de l'Europe. Elle en est l'axe et la deuxième économie de la zone euro. De plus, le déficit budgétaire s'élève à 5,8% du PIB, et non à 15%. De plus, la dette française est si colossale (3.300 milliards d'euros) que les spéculateurs hésitent à l'exploiter. Avec quelques dizaines de milliards, il est impossible de manipuler le marché en sa faveur. Cela nécessiterait des centaines de milliards, voire des milliers de milliards."

Autrement dit, la France serait "too big to fail" (trop grosse pour tomber). Surtout, poursuit-il, "la France est le père de la zone euro, l’unité européenne et la monnaie européenne sont des idées françaises."

Le pays "se contente de répercuter la facture à Berlin. La grandeur française se paiera pour sauver l'Europe", conclut-il.

Autrement dit, si la France continue dans sa voie de l'inconséquence, l'Europe finira par régler la note.

"Les Français jouent avec le feu"

Son confrère à De Telegraaf est moins tendre.

"La France n'y arrive tout simplement pas, écrit Martin Visser en préambule. C'est un miracle que l'économie fonctionne encore: rigide, inflexible, centralisée par les politiciens, bureaucratique, inefficace avec une sécurité sociale généreuse et des droits sociaux excessifs."

Selon lui, les Pays-Bas (et les autres pays de l'UE) sont "coincés dans une union monétaire" avec la France qui "se comporte comme une banque gâtée qui sait qu'elle ne peut pas faire faillite."

"Les Français jouent avec le feu. Francfort, Bruxelles et les autres capitales gouvernementales observent sans réagir. Quand comprendrons-nous que l'accumulation constante de dettes sans une politique financière et économique stricte et rigoureuse est une voie désastreuse?"

Outre-Rhin, où la rigueur budgétaire fait office de tradition nationale, c'est aussi le déni français qui est pointé du doigt -et ses potentielles conséquences pour le reste de l'Union européenne.

"Les Français n'ont manifestement pas voulu entendre ce que signifiait la situation financière difficile de leur pays", souligne un éditorial du quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, pour qui "le bon sens économique" imposerait "de réagir par des réductions des dépenses, une réforme fiscale et une réforme des retraites".

"Affirmer que la zone euro est confrontée à sa prochaine grande crise avec le problème budgétaire de la France n'est tout simplement pas sérieux", observe toutefois le journal bavarois, pour qui, contrairement à la Grèce des années 2010, la France "dispose d'une base industrielle solide, d'une balance courante équilibrée et n'est en aucun cas au bord de l'effondrement". Mais "ce serait tout aussi erroné de minimiser la situation", note-t-on.

"Un pays de cette taille ne peut pas être rattrapé comme la Grèce ou le Portugal à l'époque", estime ce même éditorial, estimant que l'Europe "ne peut se permettre d'avoir une deuxième économie faible".

"La France n'est pas la Grèce, et c'est précisément pour cela qu'elle est plus dangereuse. Mais ce sont d'abord les Français qui doivent le comprendre et l'accepter", avance-t-il.

"Macron vit comme un roi"

Et le problème parait insoluble car "il n'y a pas de majorité au sein des parlements pour adopter des programmes d'austérité et des coupes budgétaires", note pour sa part une analyse de l'hebdomadaire économique WirtschaftsWoche, pour qui "c'est ce qui rend la situation si dangereuse et si désespérée, et les marchés ont raison d'être nerveux".

"Pourtant, la leçon est la même qu'il y a 15 ans: il n'y a pas d'alternative à la voie douloureuse de la consolidation. Les populistes s'en rendront également compte s'ils devaient assumer des responsabilités", assure l'hebdomadaire.

"Les Français doivent faire des économies, mais… Macron vit comme un roi !", affirme le titre d'un article du tabloïd allemand Bild, faisant référence aux dépenses de l'Élysée qui avaient été épinglées par un rapport de la Cour des comptes en 2024.

"De nombreux Français se demandent: pourquoi devrais-je travailler plus longtemps ou renoncer à des privilèges si le président et son gouvernement de luxe jettent l'argent des contribuables par les fenêtres? Car le fait est que le palais est considéré comme un lieu de gaspillage, et ce depuis des années", interpelle-t-on.

L'Italie craint la contagion

De l'autre côté des Alpes, en Italie, on appelle à la prudence. "Compte tenu des tensions politiques récurrentes entre le gouvernement italien et l'exécutif français, certains en Italie pourraient accueillir un tel événement avec une satisfaction silencieuse", alors que la France emprunte désormais aussi cher que l'Italie sur le marché de la dette, observe un récent article du quotidien italien Corriere della Sera, pour qui cela témoigne de la "crédibilité" du voisin transalpin qui, ces dernières années, "a eu un gouvernement stable" avec "une ligne budgétaire prudente".

"Mais les célébrations s'arrêtent là", car "une crise politique, budgétaire et de marché en France devrait inquiéter les classes dirigeantes en Italie", insiste-t-on, car "il est pratiquement impossible de séparer le destin financier des deux pays".

"Si Paris devenait vraiment l'épicentre d'une nouvelle crise de la dette souveraine en Europe, l'Italie serait la première à être exposée à la contagion", craint-on, car les investisseurs "se demanderaient où se cachent des risques similaires aujourd’hui en Europe". Par ailleurs, la France est un marché que l'Italie "ne peut se permettre de perdre ou de voir dépérir", alors que le commerce mondial est chahuté par les États-Unis et la Chine. "Le marché transalpin est donc fondamental et une crise financière l'attaquerait comme un virus très dangereux", affirme le quotidien italien.

L'inquiétude est partagée sur le versant sud des Pyrénées, où l'on pointe la responsabilité des forces politiques. "La plupart des partis s'accordent à dire que la situation est grave, mais aucun ne parvient à trouver une solution au problème", souligne un éditorial publié par le quotidien espagnol El Pais, pour qui "l'image que renvoie la France de Macron est celle de l'impuissance et de l'échec".

Chaque force politique "semble campée sur ses positions et n'est disposée à aucune négociation, surtout parce que cela impliquerait de faire des concessions". "Le spectacle offert par la France de Macron est celui d'un funambule qui doit marcher avec sa proposition sur un fil suspendu dans les airs tandis que, en bas, les autres partis rugissent pour le faire tomber", analyse ce même éditorial.

Frédéric Bianchi et Jérémy Bruno