En Chine des copies de Santorin, du sphinx de Gizeh ou de la tour Eiffel attirent les touristes

Un couple de mariés chinois pose devant la réplique de la tour Eiffel de Tianducheng le 26 janvier 2016 - JOHANNES EISELE / AFP
Dans le Yunnan, la ville de Dali est un peu particulière. À côté des bâtiments traditionnels chinois ou des grandes tours, un hôtel détonne un peu. Reproduisant l’architecture grecque, le Santorini Sea View et ses murs blancs ne sont pas sans rappeler l’archipel éponyme de la Mer Egée. Cet hôtel dont la construction aurait coûté 1 milliard de dollars, attirent les touristes.
Mais ici, le point d’eau bleu n’est pas la Méditerranée, mais le lac Erhai. Cette imitation d’une ville européenne n'est pas un cas isolé, elle est le dernier projet architectural d’une longue lignée de reproductions. Un phénomène initié dans les années 90 et qui institue ce qu’on qualifie désormais de “duplitectures chinoises”.
Si la Chine est connue pour une certaine culture de la copie appelée Shanzhai dans l’empire du milieu, celle-ci s'est étendue bien au-delà du textile et de la micro-informatique.
Et même les entreprises s'y mettent. Le nouveau siège de recherche et développement du géant Huawei, installé à Dongguan et inauguré en début d'année, est composé de petits "villages" reprenant les styles d'architecture des villes de Paris, Oxford ou Bruges.
Le premier projet de reproduction d’une architecture européenne en Chine date de 1993 avec le “Window of the world”. Ce parc à thème de Shenzhen reproduit à l’échelle 1/10 certains des monuments connus d'Europe comme la tour Eiffel et la tour de Pise.
Cette fenêtre sur le monde a rencontré un certain succès et ce sont ensuite de nombreux projets qui verront le jour: une reproduction du village helvétique d’Interlaken dans un complexe hôtelier à Shenzen, la construction d'un village thématique britannique a Shanghai, une imitation du Paris d'Haussmann à Hangzhou et bien d'autres.

Souvent vu comme une curiosité par les Européens, ce style architectural est accueilli de manière contrastée par les autorités des lieux reproduits. Par exemple, le maire de Hallstatt était d’abord hostile à la reproduction de sa ville dans la province du Guangdong, mais il s’est montré plus qu'enthousiaste quand il s’est aperçu des retombées sur le tourisme dans sa ville.
En 2005, seulement 47 touristes chinois étaient venus visiter la célèbre ville autrichienne. Depuis la construction du projet, c'est plus de 8.000 touristes venus de Chine qui passent chaque année dans sa ville. La duplitecture a porté à la connaissance d'un autre public l’existence de Hallstatt et a développé un intérêt pour l’Autriche en Chine.

Des projets architecturaux à destination d’un public chinois
Pékin a plusieurs intérêts à construire des duplitectures. C’est tout d’abord un antidote au voyage à l’étranger. Jean François Di Meglio de l’Asia Centre explique à BFM Business qu'il s’agit de "récupérer sous forme de consommation intérieure ce qui serait devenu avec le tourisme à l’étranger, une exportation de capitaux. Quand vous avez plusieurs dizaines de millions de touristes chinois qui, au lieu de partir à l’étranger vont voir des parcs comme celui du Window Of The World ou le Paris de Tiandu Cheng, c’est un élément non négligeable".
Il ajoute que si ces constructions ont un impact minime sur le secteur de la construction en Chine, elles représentent la volonté des autorités de relancer son économie, qui peine à repartir depuis l’après Covid: en plus d’être des hôtels ou des parcs à thèmes, ces espaces sont utilisés comme salle de cérémonies ou lieux de tournage pour des films et des séries quand ils ne finissent pas vendus en tant qu’appartements.
Et ces reproductions ne se heurtent pas à la culture du tourisme en Chine. "Un voyageur chinois va privilégier ‘l’experiencing’ à l'authenticité. Les touristes ont plus une démarche où ils cochent une case avant de passer à autre chose. C’est une forme de réussite sociale d’avoir pu aller à Santorin, qu’il s’agisse de celui du Yunnan ou celui de Grèce".
C’est également une manière de s’adapter aux mutations du secteur du tourisme. "Maintenant, certains lieux, comme Venise, restreignent leur accès à cause de l’explosion des voyages au niveau mondial, donc la Chine anticipe peut-être aussi ce phénomène et cherche de cette manière à capter une partie des touristes”.
Un intérêt économique, mais pas seulement. L’empire du milieu impulse les duplitectures par intérêt politique. Lors de son interview, le porte-parole de l’Asia Centre souligne que La Chine est très attentive aux tensions internationales et se prépare à des éventualités qui la pousserait à se refermer sur elle-même. "Le Covid a été une raison d’encourager la fermeture du pays, mais au-delà de l’épidémie, il y a une tendance à l’isolement sur soi. Et le jour où on ne pourra plus sortir de Chine, si ce jour arrive, les Chinois auront réponse à tout".
Un tourisme pluriel
Mais les duplitectures ne pourront pas satisfaire tous les besoins en tourisme. Contactée par BFM Business, Caroline Paul de l’Agence Talent Travel note que "depuis la fin du covid, les étrangers sont revenus en France, mais je dirais que quelque chose a changé avec les Chinois”. Elle souligne que “désormais, à côté des groupes, on voit de plus en plus de Chinois voulant voyager seuls”. Il s’agit le plus souvent de ‘repeaters’, c'est-à-dire des Chinois qui viennent 4 à 6 fois par an, qui travaillent dans le domaine de l’influence ou de la tech. Elle ajoute que ces habitués "prennent des logements en Airbnb plutôt que des hôtels. [...] Ce qui contraste avec les groupes, c’est qu’ils ne viennent plus forcément pour les monuments, mais plutôt pour découvrir les terrasses et le mode de vie Français".
Les Duplitectures ont passé leurs heures de gloire durant la décennie 2000 et sa folie immobilière chinoise, mais le phénomène n'est pas près de s'éteindre: appuyé par le personnel politique, organisé par les entreprises d'État, ces projets s’inscrivent dans une dynamique qui va continuer à s'installer. À part la reproduction du Sphinx de Gizeh et celle de la cathédrale de Rochan, peu de projets ont été annulés ou détruits. Concernant le Santorini Sea View, l’office national du tourisme Hellénique s’est refusé à tout commentaire.