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Elections en Allemagne: l'effondrement des infrastructures au coeur du scrutin

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Ponts et routes en mauvais état, réseau ferroviaire à bout de souffle, projets mal gérés... Le pays fait face à un mur d'investissements sans précédent pour se remettre à niveau.

Septembre 2024. Carola, un des principaux ponts de la ville de Dresde, dans l’est de l'Allemagne, s'effondre sans heureusement faire de victimes. Les autorités locales mettent en cause la corrosion de pièces d’acier de cet ouvrage achevé en 1971.

Un exemple parmi d'autres, symptomatique de la déliquescence des infrastructures du pays. Ponts et routes en mauvais état, réseau ferroviaire à bout de souffle, projets mal gérés... Le pays fait face à un mur d'investissements sans précédent pour se remettre à niveau. Un sujet qui est au coeur des élections anticipées qui se jouent ce week-end dans le pays.

"Le plus gros problème de l’Allemagne est l’effritement de son infrastructure", confirme Daron Acemoglu, prix Nobel d’économie 2024, dans une récente interview à la presse allemande, cité par l'AFP.

Autrefois synonyme d’efficacité et de qualité, la première économie européenne peine aujourd’hui à faire rouler ses trains à l’heure, à réparer ses ponts et moderniser ses équipements urbains.

Un train sur trois est en retard

Les chiffres sont accablants: 36% des trains longue distance ont subi des retards en 2023, une situation qui choque dans un pays attaché à son réseau ferré. Au point de pousser l'opposition à demander le démantèlement de la vénérable Deutsche Bahn, la SNCF allemande (voir notre encadré).

L’Euro 2024 de football organisé en Allemagne a d'ailleurs exposé au grand jour ces difficultés avec des supporters exaspérés, bloqués dans des trains en panne.

Par ailleurs, 4.000 ponts nécessitent une rénovation urgente, et seulement 11% des connexions Internet fixes sont en fibre optique, un des pires taux des 38 pays membres de l’OCDE.

Les Allemands sont lucides sur la situation: selon une enquête publiée l'an passé, seulement 35% d’entre eux jugent leurs infrastructures bonnes ou plus ou moins bonnes. Un recul de 20 points par rapport à 2016.

Bref, remettre à niveau les infrastructures sera l’un des défis du prochain gouvernement et l’une des clés pour relancer l’économie du pays, en récession depuis deux ans.

Des investissements bridés par la rigueur budgétaire

Comment en est-on arrivé là? La rigueur budgétaire allemande qui se traduit par la limitation stricte de la dette publique a étouffé les investissements nécessaires. Ainsi, entre 2012 et 2023, les niveaux d’investissements publics dans ce pays ont été les plus bas de toute l’UE, en dehors du Portugal et de l’Irlande.

Le ministre de l’Économie, l’écologiste Robert Habeck, estime que le retard se chiffre "en centaines de milliards d’euros" car "des ponts s’effritent, des écoles ne sont pas rénovées, des trains n’arrivent pas à l’heure", résume-t-il.

La bureaucratie étouffante est également pointée du doigt comme un obstacle majeur à la réalisation des projets. Les études et démarches interminables retardent leur mise en œuvre, parfois de plusieurs années.

Avec comme exemple le plus frappant le projet "Stuttgart 21", visant à transformer la gare de cette grande ville et son environnement, un chantier qui dure depuis 15 ans, accumulant les déboires et les dépassements de budget avec une facture de 11 milliards d'euros contre cinq prévus initialement...

Investir massivement semble être la seule solution pour remettre le pays à niveau. Mais alors que l'économie patine, les partis affichent des vues opposées.

Le centre-gauche (SPD) du chancelier actuel Olaf Scholz, veut massivement emprunter, quitte à en finir avec la sacro-sainte règle du "frein à la dette" qui interdit au gouvernement d’emprunter plus de 0,35% de son PIB chaque année et aux Länder (régions) de faire des déficits. Or, la CDU, le parti conservateur favori des élections, ne veut pas en entendre parler.

Les économistes du pays plaident pourtant pour un changement de paradigme. Pour Carsten Brzeski, analyste de la banque ING interrogé par l'AFP, "il est temps d’investir, investir, investir", et de lancer un plan d’urgence sur dix ans ainsi qu’un fonds spécial pour relancer les infrastructures.

L'opposition veut démanteler la Deutsche Bahn

Face aux difficultés de l'opérateur historique ferroviaire allemand et des colossales dépenses à mener pour régénérer son réseau, la CDU, favorite des sondages, entend appliquer une méthode radicale: démanteler la Deutsche Bahn (DB).

Objectif, vendre des actifs pour obtenir de l'argent frais et scinder l'entreprise en deux entités: la première aurait en charge l'exploitation du réseau, la seconde, son entretien et sa gestion. Comme en France avec SNCF Voyageurs et SNCF Réseau.

"Les chemins de fer doivent être complètement repensés si l’on veut obtenir des améliorations" a ainsi déclaré Ulrich Lange, porte-parole du candidat conservateur pour les questions de transport.

Si cette perspective suscite un intense débat entre allemands, très attachés à leur compagnie ferroviaire malgré ses difficultés, elle bénéficie aussi du soutien de la Cour des comptes du pays qui estime qu'il est impossible de continuer comme ça.

Dans un rapport remis en 2023, elle qualifie la DB de "puits sans fond" qui "met en péril l’ensemble du système ferroviaire". "Malgré des soutiens financiers toujours plus importants, l’endettement augmente depuis 2016 de cinq millions d’euros… par jour" et atteint 30 milliards d’euros.

Olivier Chicheportiche avec AFP Journaliste BFM Business