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Ils parlaient de rétorsions dures mais ont accepté un accord très défavorable: Merz et Macron ont-ils eu peur de Trump?

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Alors que Berlin et Paris campaient sur une position dure vis à vis du président américain il y a quelques jours de cela à peine, ils ont finalement accepté un accord très défavorable et ne parlent plus de mesures de rétorsion. Que s'est-il passé en quelques heures à peine?

"Reddition", "racket", "défaite": la classe politique française, quasiment unanime, a continué lundi de dénoncer l'accord commercial annoncé dimanche entre l'Union européenne et les États-Unis, François Bayrou regrettant "un jour sombre" pour l'Europe qui "se résout à la soumission".

Au niveau européen, la presse n'est guère plus tendre. Les éditorialistes du Vieux Continent fustigent une Europe "moins efficace que le Japon et le Royaume-Uni", on y parle de "capitulation", d'un "deal inégal", d'une "douche froide", d'une "loi du plus fort qui l’a emporté".

L'UE va se voir en effet imposer un taux unique de 15% pour la plupart de ses produits qui entreront sur le territoire américain (contre 10% aujourd'hui), elle s'engage à acheter pour 250 milliards de dollars par an de produits énergétiques américains (le triple d'aujourd'hui) et elle doit investir quelque 600 milliards de dollars aux États-Unis dont des centaines de milliards d'achats d'armement.

En contrepartie les États-Unis s'engagent... à rien. Ou alors à ne pas appliquer le taux de 30% qui menaçait l'Europe au 1er août.

"Toujours faire confiance à la faiblesse européenne"

"L'Europe puissance a une nouvelle fois triomphé, ironise Christopher Dembik, conseiller en stratégie d'investissement chez Pictet AM. C’est un très mauvais accord commercial pour l’Europe."

Il cite ainsi l'exemple de l'armement.

"Il y a quelques mois, l’Europe plaidait unanimement pour plus de dépenses militaires auprès des acteurs européens du secteur, rappelle-t-il. Finalement, sans surprise, ce seront les entreprises américaines qui vont en bénéficier à la suite de l’accord de dimanche. Il faut toujours faire confiance à la faiblesse des Européens et c’est bien ce que Donald Trump a compris."

Le contraste est très fort avec les intentions affichées la semaine dernière encore par les négociateurs européens.

"S'ils veulent la guerre, ils l'auront", déclarait ainsi au Wall Street Journal un responsable allemand il y a à peine une semaine de cela.

"Nous continuons à tendre la main, mais nous ne ferons pas tout ce qu'on nous demande", estimait de son côté le ministre des Finances allemand Lars Klingbeil, lors d'une conférence de presse avec Éric Lombard près de Berlin.

L'axe franco-allemand semblait même un temps retrouver de la vigueur. Les deux alliés poussaient pour mettre en branle un plan de contre-mesures pour cibler 93 milliards d'euros de produits américains. La France militait pour activer l'"instrument anti-coercition" pour aller plus loin et l'Allemagne semblait se rallier à cette position va-t-en guerre.

"Dans cette négociation, vous devez faire preuve de force, d’unité et de détermination, déclarait Benjamin Haddad, le ministre français des Affaires européennes à la mi-juillet. Nous pouvons aller plus loin" que les contre-mesures annoncées par la Commission européenne.

Au final il n'en a rien été. D'ailleurs les 93 milliards de dollars de riposte décidés la semaine dernière par Bruxelles ne sont plus du tout évoqués.

La faute, selon Bloomberg, à Friedrich Merz et Emmanuel Macron qui auraient eu peur d'aller trop loin:

"Les ambassadeurs [qui négociaient les accords] ont été avertis que pour riposter efficacement, le bloc devrait être prêt à rester uni et à encaisser les conséquences. Ils n'étaient ni l'un ni l'autre. En public, les principaux gouvernements ont montré leurs muscles et leurs dents, mais en coulisses, ils cherchaient des moyens d’apaiser les États-Unis tout au long du processus de négociation."

La multiplication des intérêts nationaux

Une nouvelle fois l'UE a été affaiblie par la défense des intérêts nationaux. Berlin voulait protéger son industrie automobile et a refusé un allègement tarifaire en échange d'investissements outre-Atlantique (pour ne pas perdre d'emploi). La France voulait protéger son vin et son champagne et refusait donc de sanctionner les spiritueux américains par crainte des mesures de rétorsion.

Avant la réunion de dimanche, Paris aurait rappelé à la Commission de ne pas céder sur la limitation de l'accès aux produits agricoles et d'obtenir un accord favorable pour le secteur viticole.

Des divisions ont même émergé au sein même de la Commission européenne, selon le Financial Times. Avec d'un côté une équipe dédiée à la négociation dirigée par Sabine Weyand, une experte des négociations sur le Brexit qui était inflexible et prête à en découdre et de l'autre une Ursula von der Leyen plus conciliante et moins adepte des positions fermes et des menaces de rétorsion.

"Tout ceci était prévisible, commente fataliste Christopher Dembik, c'est la conséquence d'un manque de réalisme dans les relations internationales."

Les dirigeants allemands et français font en tout cas profil bas.

"Je ne suis pas satisfait de ce résultat mais il n'était pas possible d'obtenir davantage", a sobrement commenté Friedrich Merz devant la presse ce lundi.

Côté Elysée, c'est même silence radio. Si François Bayrou a parlé de "soumission", Emmanuel Macron n'a toujours pas commenté, 24 heures après l'annonce.

La victoire du président américain semble donc admise par tous.

"C'est lui le tyran de la cour de récréation et nous n'avons pas rejoint les autres pour lui tenir tête, a déclaré un diplomate dans le Financial Times. Ceux qui ne s'entraident pas finissent pendus séparément."
Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco