Face à la hausse du cours de l'or, les bijoutiers contraints de s'adapter

Des bagues en or exposées dans une bijouterie. - PhotoMIX-Company/Pixabay
"Quand on est s'est lancés en 2013, le cours de l'or était deux fois moins élevé. La montée a été progressive mais constante." Margot Pavan, responsable de la joaillerie Or du Monde, souligne la mauvaise passe du secteur: face à l'inflation de la matière première - qui représente au moins 20% de ses coûts - la bijoutière ne peut pas faire autrement que monter graduellement les prix.
"C'est embêtant, car non seulement le prix des bijoux augmente, mais nous devons en plus réduire nos coûts", décrit-elle.
"Tout le monde se demande où ça ira: a priori, on n'est pas près de voir des baisses", analyse de son côté Sandrine Marcot, présidente exécutive de l'Union de la Bijouterie et Horlogerie (UBH). L'or bat ses propres records depuis plusieurs semaines, atteignant en cette fin de mois d'août la barre symbolique des 2.500 dollars l'once (28g).
Parmi les raisons de l'envolée récente, des considérations géopolitiques: la People's Bank of China (POBC) s'est mise à acheter compulsivement lingots et pièces pour se constituer des réserves. Après l'annonce des sanctions occidentales sur la Russie, elle a acheté en 2023 près de 7,23 millions d'onces, son plus haut total depuis 46 ans.
L'inflation a aussi précipité les consommateurs vers la valeur-refuge par excellence.
"Les investisseurs voient dans l'or une valeur immuable et un potentiel d'appréciation", estime Laurent Schwartz, fondateur du Comptoir national de l'or, qui a vu ses ventes d'or pur doubler cette année.
Un arbitrage entre les prix et les marges
Face à cette demande, les bijoutiers doivent s'adapter. "Ils font le dos rond. Mais si ça continue, ce sera soit les prix, soit les marges", alerte Sandrine Marcot. Pour l'instant, le secteur limite ses hausses de prix, assure-t-elle.
Et pour cause: les enjeux de pouvoir d'achat amènent les Français à disposer de moins de moyens pour des achats moins essentiels, tels que les bijoux. Les artisans doivent donc éviter de trop augmenter leurs prix -à l'exclusion des marques de luxe, qui ont les moyens de répercuter les coûts- sans quoi ils pourraient perdre des clients.
Mais de l'autre côté, difficile d'éviter la hausse du cours. Leurs sources d'approvisionnements sont multiples: soit ils passent par des fondeurs pour acheter de la matière pure; soit ils importent des bijoux de fabricants hors d'Europe; soit ils passent par des fournisseurs -comme Robbez-Masson, leader en France- qui fabrique en France après avoir négocié l'or à l'étranger.
Mais ces trois cas de figure, ils n'ont pas beaucoup de marges pour négocier. Le grossiste faisait d'ailleurs part lui-même récemment "d'une situation tendue" et de détaillants sur qui il allait devoir répercuter ses propres coûts, apprend BFM Business. La situation désavantage les "petits" face aux grands acteurs comme Leclerc (Le Manège à Bijoux - qui n'a pas souhaité s'exprimer) ou Histoire d'Or. Ces derniers importent en gros et à des prix moindres.
Margot Pavan, à Or du Monde, passe par un dernier canal: l'or de seconde main. "On récupère de l'or venu de l'informatique, du dentaire. On l'affine ensuite", explique la joaillère, qui inscrit sa pratique dans une démarche écologique. Il lui faut adapter les tarifs d'achat pour rester compétitive - l'or se paye donc de plus en plus cher - mais le modèle est un peu moins contraignant.
On a baissé un peu nos marges, mais on a évité beaucoup d'intermédiaires. Cela nous permet d'avoir des coûts moins élevés que sur une chaîne d'acteurs plus complexe."
Des produits en or moins purs
Elle souligne aussi que ses produits, des alliances essentiellement, sont plus résistantes aux hausses de prix. "On ne s'en achète pas tous les jours: nos clients souhaitent payer pour de la qualité, qui plus est pour du travail français." La majorité des acheteurs continue de prioriser l'or, à choisir, pour leurs dépenses de mariage.
La bijouterie veut néanmoins compter, comme beaucoup d'autres, sur la diversification. "Le platine est devenu plus rentable que l'or, beaucoup de gens l'adoptent. Et nous avons lancé des bagues en argent pour toucher des plus petits budgets", développe Margot Pavan. Elle continue aussi à utiliser du palladium, utilisé dans un alliage pour constituer l'or blanc.
"L'or est un produit qui sert de placement. On l'achète parce qu'on sait que cela conserve de la valeur. Même l'argent n'a pas cette fonction, donc je ne crois pas à un effet d'éviction", explique Sandrine Marcot.
Varier les produits est en revanche une stratégie classique, quitte à dégrader la qualité des bijoux vendus. L'or n'est jamais pur dans les bijoux, car il est trop souple. Mais il peut être en effet vendu en bijouterie en 750/1000, aussi appelé 18 carats (c'est-à-dire à 75% pur), mais aussi en 375/1000. Ce dernier, prisé des grandes chaînes de bijouterie, est déjà le plus vendu en volume. De plus en plus d'artisans y ont recours.