"Une entreprise qui fait son beurre sur notre dos": pourquoi Lactalis est dans le viseur des agriculteurs

"Lactalis nous met à poil", "Lactalis, prédateur numéro un des éleveurs laitiers". Munis de pancartes, quelque 200 agriculteurs ont mené mercredi une action coup de poing en pénétrant dans le siège historique du leader mondial du lait à Laval (Mayenne), avant d'en être délogés par les forces de l'ordre.
Depuis le début de la crise agricole, Lactalis est régulièrement ciblé par les éleveurs laitiers qui dénoncent les pratiques de l'industriel en matière de fixation des prix. Ils estiment que l'entreprise fixe unilatéralement le prix de rachat sans tenir compte de la loi Egalim qui prévoit notamment une prise en compte des coûts de production afin d'assurer une juste rémunération aux producteurs.
"C'est une entreprise qui ne joue pas le jeu de la répercussion des prix aux producteurs", déplore sur BFMTV Damien Greffin, vice-président de la FNSEA. "Il faut absolument que l'éleveur puisse répercuter dans le prix les charges qui sont les siennes pour pouvoir exister". Porte-parole de la Confédération paysanne, Laurence Marandona affirme de son côté que Lactalis "est responsable de la disparition de nombreuses fermes laitières en France" en proposant "un prix du lait en deçà du prix de revient, ce qui veut dire que les gens travaillent à perte". C'est "une entreprise qui fait son beurre sur notre dos", s'insurge-t-elle.
Bras de fer entre Lactalis et les éleveurs sur le prix du lait
Les négociations entre Lactalis et les producteurs sont toujours en cours. Début février, le numéro un français de l'agroalimentaire proposait un prix de 420 euros par 1.000 litres de lait, soit une augmentation de 15 euros par rapport au prix pratiqué jusqu'à présent. Une proposition refusée par l'Union nationale des éleveurs livreurs Lactalis (Unell), qui représente plus de 4.000 exploitations laitières livrant plus de 2 milliards de litres de lait au géant industriel.
L'Unell réclame une hausse de 5% du prix de revient inscrit dans les conditions générales de vente pour 2024 du groupe Lactalis auprès de la grande distribution pour tenir compte de l'inflation, quand l'industriel propose pour l'heure 3,7%. Elle souhaite aussi que le prix du lait qui sert à fabriquer des produits de grande consommation tienne compte à 100% des coûts de production. La moitié du lait étant valorisée en produits de grande consommation, cela reviendrait à dire que 50% du prix total du lait serait fixé sur la base du prix de revient, contre 25% actuellement.
En définitive, l'Unell demande un prix d'au moins 429 euros par 1.000 litres de lait, ce qui est "le reflet du marché", selon le président de cette association de producteurs contacté par BFM Business. Du côté de la Fédération nationale des producteurs, on réclame 444 euros, tandis que la Confédération paysanne demande, elle, un prix de 500 euros.
"Depuis deux ans, on a augmenté le prix du lait de 25%"
Quelques heures après l'envahissement de son siège de Laval, Lactalis a réagi en s'étonnant "de la tenue de cette mobilisation" alors que "des négociations sous l'égide du médiateur des relations commerciales et agricoles sont actuellement en cours".
"Les discussions entre Lactalis et l'organisation de producteurs Unell, dans le cadre des dispositions Egalim, portent sur un contrat de droit privé dans l'objectif de parvenir à une solution satisfaisante pour trouver un juste équilibre sur le prix du lait (...). Lactalis a été le premier à solliciter cette médiation dans une démarche constructive et dans la volonté de trouver rapidement une solution", a affirmé le groupe.
Invité sur BFMTV, François-Xavier Huard, PDG de la Fédération nationale de l'industrie laitière qui représente plus de 100 entreprises dont Lactalis, souligne que la filière "a pris (sa) responsabilité". "On est une des premières filières alimentaires à avoir appliqué des règles de contractualisation, avant même la fameuse loi Egalim. Depuis 2011, on applique des règles qui nous obligent à prendre en compte les coûts de production (...)", a-t-il ajouté, précisant que "depuis deux ans, on a augmenté le prix du lait de 25%, à un rythme plus rapide que les indicateurs de coûts de production des éleveurs".
Il dit malgré tout "entendre" la demande des agriculteurs "de juste rémunération de leur travail, qui est une demande légitime". "On peut toujours faire mieux" a-t-il reconnu, tout en expliquant qu'il est difficile de fixer un prix du lait qui satisferait l'ensemble des éleveurs car "il n'y a pas un coût de production et un coût de revient unique en France. Il y a autant de coûts de productions que d'éleveurs". Mais "je ne doute pas qu'à un moment donné on parviendra à une solution" dans le cadre d'une médiation, a conclu François-Xavier Huard.