Russie, Iran, Liban… L'aviation civile pénalisée comme jamais par les tensions géopolitiques

Il y a quelques jours, l'Agence européenne de sécurité aérienne (AESA) a prolongé ses recommandations aux compagnies aériennes d'éviter de survoler l'Iran et le Liban et d'appliquer un "processus de surveillance rigoureux" lors du survol d'Israël malgré la trêve entrée en vigueur mercredi avec le Hezbollah.
Ces recommandations courent jusqu'au 31 janvier et viennent s'ajouter à l'interdiction du survol de la Russie appliquée par le Kremlin depuis début 2022, année de l'invasion de l'Ukraine.
Ces recommandations ne sont pas contraignantes, la décision finale revenant à chaque autorité nationale d'aviation civile. En pratique, étant donné le risque de tirs de missiles ou de balles perdues, l'aviation civile, qui fait de la sûreté sa clé de voûte, doit composer et éviter des zones de plus en plus larges.
"On est cernés"
De quoi compliquer la vie des compagnies aériennes, notamment en termes de temps de parcours, les avions devant suivre de nouvelles routes afin d'éviter notamment Israël, le Liban, la Syrie, l'Iran, l'Irak, le Yémen, le Soudan, la Libye, le Mali… Un casse-tête sans précédent dans l'histoire de l'aviation civile.
"On a déjà connu des restrictions, mais je dirais que là on est cernés", témoigne un pilote de ligne expérimenté, interrogé par l'AFP sous couvert d'anonymat: "tout ce que je ne peux pas survoler, ça représente une part assez conséquente du territoire mondial".
"Sur la planète, le ciel est en train, effectivement, de se restreindre", abonde Pascal de Izaguirre, président de la Fédération nationale de l'aviation et de ses métiers (Fnam), porte-voix du secteur en France: "nous n'avions jamais constaté cela dans le passé".
Pour éviter le très vaste territoire de la Russie, les compagnies doivent ainsi passer par de véritables trous de souris comme l'espace aérien de l'Azerbaïdjan, coincé entre la Russie et l'Iran et en conflit latent avec l'Arménie voisine, pour les liaisons Europe-Asie.
Ces contournements ont un coût qui n'a rien d'anodin pour les compagnies, notamment en kérosène. Un Paris-Pékin ou un Paris-Tokyo chez Air France prend ainsi deux heures de plus qu'habituellement (14 au lieu de 12).
Un boulevard pour les compagnies chinoises
Même fragilité sur un autre point de passage vers l'Est: l'Irak, dont le survol sous 32.000 pieds (9.750 mètres), non loin du plafond opérationnel des jets, présente un risque "élevé", et ce "en raison de la présence de divers armements anti-aériens et de bombardements de missiles ou de drones impromptus", selon l'Agence européenne de sécurité aérienne (AESA).
Quant au couloir aérien de la mer Rouge, il passe entre l'immense Soudan et le Yémen, deux pays en guerre civile.
Mais dans ce ciel perturbé, tout le monde n'est pas logé à la même enseigne. Les compagnies de certains pays (Chine, Turquie…) non concernées par les représailles russes ne s'imposent pas les mêmes contraintes et survolent la Russie, ajoutant au désavantage compétitif des compagnies occidentales avec des temps de parcours moins longs et des billets moins chers donc.
Des compagnies européennes jettent l'éponge
De quoi forcer certaines compagnies à arrêter des liaisons jugées plus assez rentables. Cet été Virgin Atlantic a annoncé l’arrêt des vols entre Londres et Shanghai. British Airways a annoncé la suspension pour un an de ses quatre fréquences hebdomadaires entre Londres et Pékin. Enfin, la Lufthansa a officiellement confirmé au mois d'octobre stopper la desserte de Pékin au départ de Francfort.
Face à ce qui est dénoncé comme une distorsion de la concurrence, la PDG de KLM, Marjan Rintel, a exhorté la Commission européenne à prendre des mesures financières pour protéger les transporteurs européens face aux compagnies chinoises comme Air China ou China Southern qui bénéficient aujourd'hui d'un boulevard pour les liaisons vers et depuis l'Europe.