Quel est le plan du gouvernement pour sauver Fret SNCF, menacé par Bruxelles?

Fret SNCF est à nouveau au bord du gouffre. Non pas à cause d'une activité en berne ou de pertes abyssales. Mais à cause d'une enquête de la Commission européenne qui pourrait déboucher sur sa liquidation.
Bruxelles s'intéresse en effet au soutien dont a bénéficié la filiale à 100% de la SNCF sur la période 2007-2019, et en particulier à l'annulation de sa dette de 5,3 milliards d'euros. Celle-ci a été intégrée à la dette de la holding du groupe SNCF lorsque celui-ci a été refondé début 2020 en application de la dernière réforme ferroviaire.
La Commission pourrait déclarer ces aides illégales car non conformes aux règles de l'UE en matière d'aides d'Etat, ce qui provoquerait automatiquement la faillite de Fret SNCF, incapable de rembourser.
Une nouvelle entité et des cessions
Face à cette perspective qui représenterait une aberration tant le transport de marchandises par rail est aujourd'hui stratégique, le gouvernement a imaginé un scénario afin de convaincre Bruxelles de ne pas être trop sévère.
Le plan a été présenté mardi soir par Clément Beaune, le ministre délégué aux transports. Concrètement, il s'agit de liquider Fret SNCF, et de créer une nouvelle société qui ne porterait pas sa dette, ni son nom. Mais cette nouvelle entité doit être moins importante que celle qu'elle remplace.
La nouvelle société garderait la "gestion capacitaire", c'est-à-dire les trains que compose Fret SNCF avec les wagons de ses différents clients, qui ne formeraient pas des convois rentables s'ils étaient pris isolément.
Cette activité représente 80% du chiffre d'affaires de la société pour 70% de son trafic, et occupe 90% de ses 5000 cheminots. Elle est rentable grâce aux aides d'Etat au fret ferroviaire qui viennent d'être prolongées jusqu'en 2030 et légèrement augmentées-- et aux efforts de productivité, importants depuis plusieurs années.
Cette nouvelle entité sera toujours contrôlée majoritairement par la SNCF, donc publique, mais pourra être ouverte capitalistiquement à d'autres entreprises publiques ou privées.
"Episode difficile"
En revanche, le gouvernement propose de céder à des concurrents les "trains dédiés". Ces trains de marchandises réguliers, affrétés par des clients uniques, représentent 30% du trafic et 20% du chiffre d'affaires de Fret SNCF (750 millions d'euros environ). Cette nouvelle organisation déboucherait sur la suppression de 470 postes.
"Il n'y aura aucun licenciement, évidemment", a garanti Clément Beaune.
Les cheminots concernés seraient repris par la SNCF Voyageurs ou Réseau, ou transférés à d'autres opérateurs s'ils sont volontaires. Evoquant devant des journalistes "un épisode qui est difficile pour le fret ferroviaire", Clément Beaune a dit croire "profondément" que son plan sera accepté par Bruxelles.
La Commission européenne serait sensible à l'importance du fret ferroviaire dans la lutte contre le réchauffement climatique, ce qui expliquerait que la punition envisagée ne soit pas trop sévère. Et également au fait que cette activité soit enfin rentable depuis deux ans maintenant.
D'autant plus que le gouvernement français envisage d'ailleurs toujours de doubler la part modale du rail, face à la route et à la voie d'eau, à horizon 2030. Et annonce dans le même temps investir 4 milliards d'euros supplémentaires entre 2023 et 2032 dans les infrastructures et une augmentation des aides pour le secteur à hauteur de 200 millions par an, jusqu’en 2030.
Investir enfin dans les infrastructures
C'est justement la vétusté de ces infrastructures qui plombent l'activité de Fret SNCF la rendant moins compétitive face au transport par route.
Du côté des syndicats, le plan a du mal à passer. Le numéro deux de la CGT-Cheminots, Thierry Nier, a dénoncé la cession "d'une part des trafics, notamment les plus rentables", à la concurrence privée.
A la CFDT on ne comprend pas bien comment Bruxelles peut à la fois mettre en danger cette activité et prôner le rail pour le transport de marchandises. "Interpellons-les face au paradoxe qu'ils créent", a lancé Thomas Cavel, secrétaire général de la CFDT-Cheminots.
Même tonalité de la part d'Erik Meyer de Sud-Rail. 'Nous vivons une période formidable: le gouvernement présente hier un rapport sur le climat et le lendemain annonce la liquidation de Fret SNCF. Or, un train remplace 50 camions. Il est grand temps de sortir le fret ferroviaire de la concurrence et d’avoir une vraie politique des transports avec des décisions contraignantes pour les chargeurs de passer au fer'.
"C'est un scénario du moindre mal, mais c'est un scénario qui fait mal", a commenté de son côté un cadre de la SNCF. Pour un autre, il s'agit là de "casser le service public ferroviaire historique bas-carbone de transport de marchandises, en pleine crise climatique et énergétique".
Pour autant, il s'agirait bien de la solution du "moins pire" pour Fret SNCF dont l'activité principale serait maintenue et pourrait (enfin) vraiment se développer grâce aux investissements promis comme le souligne les acteurs de la filière.
"L’Alliance 4F estime que ces mesures marquent une avancée attendue depuis plusieurs mois. Les investissements annoncés répondent aux demandes présentées par l’Alliance 4F depuis 3 ans. L’Alliance 4F sera attentive à la concrétisation effective de ces annonces" peut-on lire dans un communiqué. Reste en effet à savoir qui paiera.