"On a le droit à la dignité comme tout le monde": les voyageurs en situation de handicap en colère contre la SNCF

Organisation compliquée, voyage à bord peu confortable, problèmes au départ et à l'arrivée... Les personnes à mobilité réduite (PMR) enragent contre les dysfonctionnements multiples dans les trains de la SNCF et dans les gares, qui finalement les dissuadent de prendre le train.
Les témoignages sur les réseaux sociaux sont très nombreux à l'image de celui de "Roro le costaud" sur TikTok alias Romain. Un témoignage déjà liké plus de 57.000 fois.
"Alors que je prenais le train à Paris-Montparnasse pour rentrer chez moi, quand j'arrive au guichet d'Assist'enGare, on me dit qu'on ne pourra pas m'accueillir dans la gare où je suis parti le matin mais que je vais devoir aller à la gare d'après", explique-t-il.
Des ascenseurs dans les gares régulièrement en panne
En cause, une panne d'ascenseur au niveau du quai de sa gare d'arrivée, l'empêchant donc de sortir de cette gare.
"Ma voiture est garée à la première gare, j'ai pris le train à cette gare-là, pourquoi, parce que je suis handicapé, je n'ai pas le droit de descendre à cette gare-là. On me dit que je descendrai à la gare d'après et que je prendrai un train pour aller dans l'autre sens afin d'arriver sur un autre quai où il y a un autre ascenseur (qui fonctionne)" poursuit-il.
"Est-ce qu'on a demandé mon avis? Non. Est-ce qu'on m'a proposé autre chose? Non".
Romain pointe ici le problème récurrent des ascenseurs en panne dans les gares. A Saint-Pierre des Corps, sa gare de destination, ces pannes surviennent "plusieurs fois par semaine, voire par jour".
Parfois (souvent même selon Romain), une autre solution est proposée: être "porté" avec son fauteuil par des agents d'Assist'enGare pour passer à pied au-dessus la voie et rejoindre le quai opposé.
"Mais pour se faire, il faut attendre qu'il n'y ait plus de trains, on attend parfois une heure. Pourquoi quand on est handicapé, on doit se rajouter une heure le soir, voire le matin? Combien d'entre nous ont loupé des trains, combien d'entre nous ont loupé des rendez-vous?", s'interroge-t-il.
Et d'exhorter la compagnie ferroviaire à faire bouger les choses: "Alors, la SNCF, en 2024, il va être grand temps de considérer les handicapés comme des personnes comme tout le monde. On paye notre billet de train comme tout le monde, on a le droit à la dignité comme tout le monde", dénonçant une "discrimination".
Interrogé par BFM Business, Romain précise: "nous sommes nombreux à subir cela, ces problèmes d'ascenseur, on les observe ailleurs. Je n'incrimine pas les gens d'Assist'enGare ou le personnel en gare qui font très bien leur travail, ils font de leur mieux, font des remontées, mais personne ne fait rien. Il y a bien des réparations, mais elles ne tiennent pas".
La SNCF (qui assure avoir contacté Romain) se justifie: "les ascenseurs sont anciens à Saint-Pierre des Corps et complexes à réparer. Des travaux d’accessibilité sont en projet. Nous sommes en phase de recherche de financement. Dans ce genre de situation la procédure habituelle est de proposer l’acheminement par d’autres gares, mais toutes les solutions sont expliquées aux voyageurs".
Manque de civisme
Si les ascenseurs en gare étaient le seul problème des PMR, la situation serait presque gérable. Mais de nombreux autres points sont soulevés.
"Il n’y a qu’une (ou deux) places possibles pour les fauteuils PAR RAME (de TGV, NDLR). Ça, c'est la situation réelle. Ok. Alors pourquoi SNCF Connect & Tech s’obstine à mettre deux personnes en fauteuil non transférables au même endroit?", s'interroge Charlotte de Vilmorin, entrepreneuse.
Résultat, le voyageur en fauteuil peut se retrouver à côté d'une autre PMR, d'où une grande promiscuité et l'impossibilité de se déplacer avant l'arrivée d'agents. "Aujourd’hui même galère sur un Paris-Barcelone avec un autre monsieur en fauteuil plus imposant. Du coup je dois voyager de profil en mode hiéroglyphes (sauf que là c’est 6h de train)", se désole-t-elle.
"Cela arrive souvent", confirme Romain, "deux fauteuils côte-à-côte, ça devient compliqué, on est en plein dans le passage. Ce n'est pas acceptable qu'il n'y ait que deux places pour fauteuil roulant dans tout un TGV". Et encore, il faut que ces espaces soient véritablement accessibles.
"Le manque de civisme me fatigue… Je suis en fauteuil et je voyage seule (oui oui, c'est possible). Aujourd’hui dans le train nous étions deux personnes PMR. La seconde personne a eu du mal à sortir à cause de l’accumulation de valises à une place PMR", explique Tanh Lan Doublier, développeuse.
"L’espace présent même s'il n’est pas utilisé par une personne PMR nous sert à manœuvrer. Un fauteuil roulant nécessite de la place pour manœuvrer. Accessoirement, ça nous bloque aussi l’accès aux WC... pendant un trajet de 5 heures", poursuit-elle. "Et non ce n’est pas notre faute (les personnes handicapées) s'il n’y pas de place pour vos bagages nous avons autant le droit que vous de voyager. Si tu veux ma place, prends mon handicap".
"Process ubuesque"
Même constat de la part de Milena Surreau, sportive de haut niveau. "Il n'y a pas suffisamment d'emplacements pour... les valises (qui aurait pu prédire que les gens voyagent avec des valises dans un TGV?). De ce fait, les gens les mettent sur les emplacements PMR. Et quand nous on arrive, avec notre fauteuil et notre chien d'assistance, ben, c'est la galère".
Face à cette problématique, l'opérateur mise sur ses nouveaux TGV M. "La prochaine génération de TGV, dont les circulations sont prévues fin 2025, offrira un plus grand nombre d’emplacements UFR (usager en fauteuil roulant, NDLR) et permettra d’accueillir davantage de personnes en fauteuil roulant avec la possibilité de monter/descendre du train en toute autonomie". Sauf que ces rames arriveront au compte-goutte.
Autre épine dans le pied, l'achat de billets spécifiques. Charlotte Alaux, cofondatrice d'Omni en fait l'amer expérience.
"Jusqu’à présent réserver un voyage en train n’était pas trop mal foutu, même si cela demandait beaucoup d’anticipation et peu de flexibilité".
"En début d’année, la SNCF a décidé d’une grande refonte de son système. Hallelujah! Encore plus d’accessibilité? De simplification!? Eh bien... plutôt l’inverse! Il faut toujours faire une demande en plus de son billet de train PMR, mais au lieu de cocher une case pour demander une assistance et rentrer son numéro de réservation on doit maintenant préciser manuellement la gare de départ, celle d’arrivée, la date et heure du trajet, le numéro de voiture, le numéro de place, si salle basse ou haute et ce pour l’aller ET pour le retour", explique-t-elle.
"C’est peut-être un détail pour vous... mais pour nous ça veut dire beaucoup! Se retrouver encore et toujours face à ces process ubuesques, avec un risque d’erreur important, ça donne juste envie de hurler", regrette-t-elle.
Deux ans de travail
"Je ne vois pas où est l'amélioration", juge pour sa part Romain.
La SNCF estime au contraire que le nouveau service est bien plus efficient. "Les voyageurs bénéficient à présent d’un point de contact unique pour réserver leur prestation d’assistance en gare, pour chaque étape de leur voyage, qu’il soit régional, national, avec correspondance, ou international".
Et d'indiquer: "un travail de plus de deux ans a été nécessaire pour créer ce service unique en collaboration avec les associations PSH/PMR, l’ensemble des entreprises ferroviaires, les autorités organisatrices régionales, les services de l’État concernés et les distributeurs de billet de train".
Parfois, ces voyageurs doivent composer avec des oublis ou une certaine mauvaise volonté.
Milena Surreau partage les déboires de sa meilleure amie, elle aussi sportive de haut niveau en fauteuil et accompagnée d'un chien d'assistance.
"Ce jour-là à la sortie de son TER, l’agent d’Assist’en Gare l’a oubliée. Elle doit donc se débrouiller pour sortir du train et faire sa correspondance par elle-même. Arrivée devant la voiture, elle profite que deux agents soient en train de sortir une PMR pour leur demander si elle peut profiter de la rampe pour monter. Au lieu de l’aider, les agents ont préféré vérifier au talkie qu’il y avait bien une réservation pour cette prestation", relate-t-elle.
"Beaucoup de PMR ont peur de prendre le train"
"Heureusement, une personne bienveillante va l’aider à monter sa valise, son fauteuil et son chien va pouvoir l’aider à monter les marches du TGV. Mais là surprise, arrivée à sa place, une poussette est à la place PMR. Elle ne peut ni mettre son fauteuil, ni son chien d’assistance. Personne ne daigne bouger, alors elle installe son chien comme elle peut: au milieu du couloir. Et c’est là qu’on touche à la grâce, quand le contrôleur arrive: plutôt que de demander au propriétaire de la poussette de libérer la place PMR, il reste focalisé sur le chien qui n’a pas de muselière!"
"Le personnel de la SNCF est beaucoup plus attentionné que dans le passé", nuance Romain, "les contrôleurs sont moins tatillons, il y a plus de souplesse, on a progressé même si ça reste compliqué".
D'autant plus que d'autres contraintes s'appliquent. "Les personnes handicapées doivent arriver une demi-heure avant le train sinon on n'a pas le droit de monter dedans et il faut avoir prévenu le service 24 heures avant pour pouvoir prendre le train", précise Romain.
"Au final, beaucoup de PMR ont peur de prendre le train", tranche le jeune homme.
Taux de réclamation "très bas" dit la SNCF
Interrogée, la SNCF se dit consciente de ces problèmes même si dans certains cas (les places PMR occupées par les bagages), cela relève du savoir-vivre des voyageurs.
"L’accessibilité pour tous dans nos gares est pour SNCF Gares & Connexions un enjeu prioritaire. C’est d’ailleurs le premier poste d’investissement de l’entreprise puisqu’elle y consacre plus de 350 millions d’euros par an", nous explique-t-on.
Et de poursuivre: "Nous intervenons sur la facilitation des accès PMR avec la pose d’ascenseurs, d’escaliers mécaniques, l’accès à la gare via les souterrains ou les passerelles, l’installation de plans inclinés ou encore le rehaussement des quais. Nous déployons des équipements adaptés aux besoins des personnes malvoyantes et malentendantes via l’amélioration de la signalétique et de l’éclairage, ou encore la pose de dalles podotactiles ou encore les balises sonores".
Dans un document daté de mai dernier, elle précise que les travaux de mise en accessibilité des gares sont terminés dans 482 sites, sur les 736 à rendre accessibles prioritairement, soit 65%. L'objectif est de passer à 79% à fin 2025.
482 gares rendues accessibles affirme la SNCF
Pour les trajets en TGV et Intercités, elle rappelle qu'elle propose trois offres d’accompagnement avec des accompagnateurs professionnels: "depuis votre domicile jusqu’à la gare de départ. Pendant votre voyage en train et depuis la gare d’arrivée jusqu’à votre domicile".
Sur le problème spécifique des ascenseurs, l'opérateur met également en avant "les données d’accessibilité des gares" qui permettent via l'application Connect de connaître en temps réel l'état de fonctionnement des ascenseurs en gare (depuis cet été).
Et finalement, la compagnie l'assure: "le taux de réclamation que nous avons est très faible et nous ne constatons pas plus de problème de prise en charge dans les gares d'arrivée que dans celles de départ. En fait, ce qui est important pour garantir une prestation, c'est la réservation. Le voyageur peut réserver entre 90 jours et 24h avant le départ".