L'incivilité, la nouvelle plaie des compagnies aériennes

Passagers saouls, remarques désobligeantes ou sexistes, agressions verbales, physiques voire sexuelles, insultes, cigarettes fumées en cachette… Les comportements inappropriés ont toujours existé dans les avions mais depuis la fin de la pandémie de covid, les chiffres sont clairement orientés à la hausse.
Tous les jours ou presque, les compagnies ou les réseaux sociaux rapportent des incidents parfois insoutenables. Comme ces passagers d'un vol easyjet entre Tenerife et Londres qui ont eu la bonne idée de déféquer sur le sol des toilettes, provoquant l'annulation du vol.
Ou encore de cette dispute entre un couple alcoolisé qui a contraint le pilote d'un vol Eva Air entre Londres et Bangkok à dérouter l’avion vers l’aéroport de Vienne. Deux incidents qui ont lieu au cours de ce seul mois d'octobre.
+47% d'incidents entre 2021 et 2022 dans le monde
Un quart des voyageurs français déclare ainsi avoir déjà rencontré des situations socialement inacceptables en avion, révèle une étude de Kayak.fr. Et selon l'Agence européenne de sécurité aérienne (EASA), "la sécurité d'un vol dans l'Union européenne est mise en péril par le comportement de certains passagers" toutes les trois heures.
Selon un récent rapport de l'IATA (l'association internationale du transport aérien), en 2022, un incident a été signalé pour 568 vols contre un pour 835 vols en 2021, soit une progression de 47%. Surtout, si les violences physiques sont heureusement rares, elles augmentent de 61% par rapport à 2021, avec un incident tous les 17.200 vols.
"La tendance croissante des incidents de passagers indisciplinés est inquiétante", se désole Conrad Clifford, directeur général adjoint de l’IATA.
"Bien que nos équipages professionnels soient bien formés pour gérer les scénarios de passagers indisciplinés, il est inacceptable que les règles en place pour la sécurité de tous soient désobéies par une petite mais persistante minorité de passagers. Il n’y a aucune excuse pour ne pas suivre les instructions de l’équipage", regrette-t-il. L'association souligne que beaucoup de ces incidents sont dus à l'emport d'alcool à bord.
Ainsi, en février 2022, un passager britannique d'un vol Ryanair en provenance de Faro, au Portugal, décide de boire à bord une demi-bouteille de brandy "pour se calmer", une bouteille achetée juste avant l'embarquement dans la zone duty-free de l'aéroport. Résultat, un passager ivre et un équipage agressé.
En novembre 2021, au départ de l'Écosse vers Ibiza, ce sont pas moins de 70 passagers qui décident de faire la fête pendant le vol avec à la clé agressions en série, cris, et des passagers terrorisés.
La prévention ne fonctionne pas
Pour le secteur en général et les compagnies aériennes en particulier, en finir avec ces comportements est un défi. Il ne faut pas oublier que, dans la plupart des cas, ils entraînent des retards, des déroutages et obligent à faire intervenir les forces de l'ordre. Et dans la plupart des cas, les passagers bénéficient d'une certaine immunité, se plaignent les compagnies.
La prévention étant un levier à l'efficacité limitée, les opérateurs veulent durcir les réglementations et les sanctions déjà très sévères, notamment aux États-Unis, et les harmoniser. La France a ainsi ratifié en février 2022 le protocole de Montréal sur les passagers indisciplinés, signé en 2014 mais qui attendait toujours son entrée en vigueur. Ce protocole est censé diminuer les risques de perturbation en vol en détectant en amont les passagers indisciplinés.
Par ailleurs, en juin 2022, le gouvernement a présenté une ordonnance "qui enclenche la création d'un régime de sanctions administratives et pénales permettant de réprimer le comportement de passagers dits perturbateurs ou simplement agités lors d'un vol de transport aérien public".
Comme l'explique l'avocat Thierry Mazoyer, les sanctions prévues ont été durcies. Une amende administrative (10.000 euros au maximum) peut ainsi être prononcée dans trois cas:
- L’utilisation d’un appareil électronique ou électrique lorsque son utilisation a été interdite par le personnel navigant;
- L’entrave à l’exercice des missions de sécurité du personnel navigant;
- Le refus de se conformer à une instruction de sécurité donnée par le personnel navigant.
En France, de nouvelles sanctions plus sévères
Mais surtout, le texte introduit l’interdiction d’embarquement à bord d’un aéronef, "une sanction, qui ici, est originale et forte", commente l'avocat.
"L’autorité administrative compétente, outre le prononcé d’une amende peut prononcer à l’encontre d’un passager aérien une interdiction d’embarquement à bord d’un aéronef, lorsqu’il ressort du constat des manquements que ce passager est susceptible de porter atteinte à la sécurité des personnels navigants, des autres passagers, de l’aéronef ou des biens à bord ou de constituer un danger grave pour la sécurité du vol", explique Thierry Mazoyer.
L’interdiction est prononcée au terme d’un débat écrit contradictoire et ne peut excéder deux années (ou quatre années en cas de récidive).
L’ordonnance créée également une nouvelle infraction pénale, si "un passager compromet la sécurité d’un aéronef en vol par la destruction, la dégradation ou la détérioration volontaires d’un de ses éléments ou du matériel de sécurité à bord". Cette infraction est désormais punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75.000 euros d’amende.
"Les compagnies aériennes disposent ainsi désormais, en complément des quelques moyens qui étaient à leur disposition pour assurer une certaine police des vols, des moyens juridiques pour faire sanctionner les comportements de passagers dont la relative immunité de fait, il faut l’espérer, devrait ainsi prendre progressivement fin", estime Thierry Mazoyer.
Certaines compagnies, comme Delta Airlines, entendent aller plus loin et ne veulent plus transporter des passagers déjà connus pour ce type d'incident. Elle réclame ainsi au ministère de la Justice d'agir au niveau fédéral en établissant une liste de noire nationale visant à interdire ces personnes de vol sur toutes les compagnies américaines.
Non seulement une telle liste permettrait de réduire le nombre de ces incidents et donc les retards d'avions mais représenterait un "symbole fort des conséquences du non-respect des instructions des membres d’équipage", déclare Ed Bastian, directeur général de la compagnie.
D'autres compagnies, comme Ryanair, optent pour des actions plus ciblées comme l'interdiction de consommer en cabine de l'alcool acheté à l'extérieur. Pour autant, rien n'empêchera un passager de boire plus que raison avant d'embarquer.