27 euros le Paris-Marseille: ce prix est-il rentable pour la compagnie italienne Trenitalia?

C'est un lancement stratégique pour Trenitalia, principal concurrent de SNCF Voyageurs dans la grande vitesse en France. Après Paris-Lyon et Paris-Lyon-Milan, l'opérateur italien va s'attaquer à une autre machine à cash de la SNCF: Paris-Marseille.
La compagnie assurera à partir du 15 juin quatre allers-retours par jour.
"Il s'agit d'un axe stratégique pour Trenitalia pour assurer plus de fréquence et optimiser nos circulations", soulignait en janvier dernier, Fabrice Toledano, directeur marketing.
Pour contrer la SNCF qui propose pas moins de 26 trajets par jour avec Inoui et Ouigo, Trenitalia mise encore et toujours sur sa gamme de prix "simple et flexible avec la même stratégie que pour Lyon et Milan", soit des tarifs très agressifs face au TGV de la SNCF.
Et de fait, les prix des billets proposés par la compagnie italienne varient selon les horaires entre 27 et 45 euros l'aller simple.
Les comparaisons sont toujours difficiles. Si les prix les plus bas de SNCF Voyageurs sont proches de Trenitalia, 19 euros en Ouigo, 25 euros en Inoui, dans les faits, les différences sont plus notables.
Exemple avec un départ le mercredi 2 juillet: Trenitalia propose quatre trajets à partir de 27 euros (37 euros en business et 180 euros en executive). La compagnie française à cette date met en vente des billets Ouigo à partir de 29 euros mais pour le TGV Inoui classique, les tarifs démarrent à 55 euros.
Conquête de clients et de notoriété
Pour un aller le 11 juillet et un retour le 9 août, selon les observations de BFMTV, le billet sera de 72 euros avec Trenitalia contre 110 euros pour la SNCF.
Précisions que ces tarifs ne prennent pas en compte une éventuelle réduction ou plafonnement comme ceux offrets par la carte Avantage qui peuvent très sensiblement réduire l'écart.
Toujours est-il que Trenitalia est très agressif, ce qui semble assez logique dans une période de conquête de clients et surtout de notoriété (qui lui fait encore défaut). Pour y parvenir, la compagnie actionne deux leviers: ses marges et les rabais sur les péages.
Concernant ses marges, Trenitalia ne s'en cache pas: elles sont clairement sacrifiées pour le moment, ce qui génère des pertes financières.
"Nos initiatives sont coûteuses et l'éboulement (dans la vallée de la Maurienne, NDLR) a retardé notre dynamique. C'est normal d'être dans le rouge dans les premières années d'exploitation", expliquait ainsi en janvier dernier, Mario Caposcuitti, président France de Trenitalia.
En 2023, le groupe aurait ainsi affiché 45 millions d'euros de chiffre d'affaires pour une perte de 50 millions d'euros (des chiffres qui ne sont pas confirmés par l'opérateur) après 34,5 millions en 2022. Le groupe espère néanmoins atteindre l'équilibre "dans les prochaines années grâce à l'accroissement de l'offre".
Et avec son ticket d'entrée à 27 euros, Trenitalia le reconnaît: cette offre n'est pas rentable.
Les péages, le nerf de la guerre
Du côté des péages que toute compagnie ferroviaire paye à SNCF Réseau pour circuler sur les voies, et qui sont parmi les plus chers d'Europe sur les lignes les plus fréquentées comme Paris-Marseille justement (jusqu'à 40% du prix d'un billet), Trenitalia bénéficie de rabais temporaires.
Si ce n'est plus le cas pour Paris-Lyon, l'opérateur aurait obtenu une importante ristourne pour Paris-Marseille. Selon nos informations, elle serait de 30 millions d'euros pour la période allant de juin 2025 à juin 2028.
Ce qui est loin d'être négligeable rapporté au chiffre d'affaires, et permettrait donc à Trenitalia de consolider son approche tarifaire.
L'octroi de cette "tarification différenciée" dans le jargon ferroviaire est parfaitement normale, elle est prévue par les textes pour attirer les nouveaux acteurs sur le marché français.
Contactée, l'entreprise ne confirme pas le montant de la ristourne accordée à Trenitalia mais rappelle son principe.
"SNCF Réseau perçoit des péages sur les circulations des trains. Ces redevances contribuent à financer à la fois le fonctionnement du réseau et sa modernisation. Ils sont fixés par grands axes de trafics, en fonction du potentiel de marché et de la concurrence intermodale. Les péages des liaisons ferroviaires peu rentables sont donc très peu chers alors qu’ils sont plus élevés pour les liaisons rentables", nous explique un porte-parole.
"L’Autorité de régulation des transports (ART) s’assure que ces péages sont correctement établis et n’empêchent pas le développement des trafics et l’arrivée de nouveaux opérateurs. Pour répondre au principe d’équité, les nouveaux entrants bénéficient pendant deux ans d’une tarification différenciée, voire trois ans en fonction des éléments que l’entreprise ferroviaire nous re-soumet à ce moment là, et qui est à nouveau validée par l’ART", poursuit-il.
L'animation du marché passe par des rabais pour les nouveaux entrants
Et de conclure: "c’est un mécanisme tarifaire très normé, contrôlé et validé par l’ART. L’objectif: aider le nouvel entrant à lancer son offre en compensant temporairement le désavantage qu’il subit face aux opérateurs déjà établis".
D'autant plus sur une liaison où l'opérateur dominant propose six fois plus de trajets quotidiens que son concurrent.
"L'opérateur déjà établi", c'est SNCF Voyageurs. Le groupe ne commente pas sur ces règles appliquées aux nouveaux entrants. Néanmoins, il souhaite officiellement que les nouveaux acteurs participent davantage au financement du réseau et à l'aménagement du territoire en occupant des axes peu ou pas rentables.
Rappelons en effet que si SNCF Réseau dispose de moyens propres, une partie importante de son budget est alimenté par les bénéfices de SNCF Voyageurs à travers un fonds de concours.
En d'autres termes, l'opérateur paye deux fois: à travers les péages pour lesquels il n'a pas de rabais, et à travers cette contribution sur ses bénéfices.
Interrogé, Trenitalia ne souhaite pas communiquer sur le détail de cette tarification différenciée mais expliquait avoir obtenu 10% de rabais pendant trois ans sur le péage de Paris-Lyon et que son budget est construit à partir de ces variables.
La compagnie rappelle que "la tarification négociée est là pour compenser une situation de déséquilibre objectif entre le nouvel acteur et l'opérateur historique. Elle est donc temporaire et n'est pas un cadeau, elle n'est pas automatique ni en montant ni en durée".
Une fois, la période rabais achevée, Trenitalia aura sans doute pas d'autre choix que de remonter ses tarifs à moins de supporter encore des pertes. Ce qui pourrait finir par lasser sa maison mère, la FS, la SNCF italienne.