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Semaine de quatre jours: cette entreprise l'a testée et le regrette amèrement

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Dans un livre, Julien Le Corre raconte comment il a fait passer les 20 salariés de son agence de communication à la semaine des quatre jours sans baisse de salaire. Dix-huit mois plus tard, son entreprise est liquidée.

Elle fait rêver de nombreux salariés. La semaine de quatre jours (ou plutôt la semaine EN quatre jours) sans baisse de salaire est pour beaucoup l'alpha et l'oméga de l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.

Un récent sondage montre que "77% des actifs seraient prêts à travailler 4 jours par semaines au lieu de 5 sans réduire la durée hebdomadaire de travail". Un chiffre qui monte à 83% chez les 25-34 ans.

Cette adhésion concerne "tous les actifs, quel que soit leur milieu social, leur âge ou leur sexe", souligne l'étude. L'ancien Premier ministre Gabriel Attal y voyait même une opportunité d'offrir "plus de souplesse à ceux qui le souhaitent".

Télétravail, semaine de 4 jours : l'avenir est-il encore au bureau ? - 08/11
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Certaines entreprises ont tenté l'expérience avec plus ou moins de succès. Pour Julien Le Corre, entrepreneur dans la communication, cette organisation du travail est synonyme de catastrophe.

"Libérer ma boîte"

Dans un livre (Jour Off, chez Valeur ajoutée Editions), il raconte comment cette décision appliquée à ses 20 salariés a débouché sur une chute de moitié du chiffre d'affaires et la liquidation de YZ, son entreprise, en moins de 18 mois.

"J'étais totalement allergique à la vie de bureau, une expérience épouvantable. Je voulais me libérer, libérer mes salariés, libérer ma boîte", écrit-il. Après avoir généralisé le télétravail, il décide "sans réfléchir" de proposer la semaine en quatre jours en 2020, en pleine crise sanitaire.

"L'expérience a commencé la fleur au fusil dans l'enthousiasme quasi général (...) mais assez rapidement, nous avons perdu des clients et la croissance s'est brisée. La semaine de quatre jours nous a affaiblis et désolidarisés", se désole-t-il.

Avec sincérité, humour et lucidité, Julien Le Corre tente de comprendre les erreurs qui ont mené à cet échec. Au-delà du "bien-être des collaborateurs (...) je n'avais aucun doute sur les gains de productivité potentiels", dit-il.

Concrètement, à partir de novembre 2020, l'entreprise applique cette organisation avec le vendredi non-travaillé par tous. Un mois après, "80% des salariés se disaient satisfaits" même si les journées de travail sont plus longues.

Situation de "double gênance"

"La réalité, c'est qu'un mois, c'est beaucoup trop court pour savoir ce qui est bien ou pas", regrette l'entrepreneur qui admet ici une première erreur. "Quand on est trop sûr de soi, on a tendance à avoir une lecture excessivement optimiste de la réalité".

Deuxième erreur selon lui, avoir sanctuarisé le vendredi comme journée off. "Si on avait laissé le jour off flexible, ça aurait été sans doute moins lisible, plus compliqué à organiser, mais on aurait au moins dissocié la notion de jour off pour les salariés et celle de fermeture de la boîte (...) on aurait continué à tourner du lundi au vendredi".

Car cette fermeture hebdomadaire "nous mettait dans une situation de 'double gênance' vis-à-vis de nos clients, cela altérait considérablement la disponibilité de nos équipes", regrette le patron.

Malgré ces premiers écueils, l'entreprise se développe, les recrutements accélèrent en 2021. "Tout semblait rouler", mais...

La situation se tend avec les salariés lorsque, pour répondre à des urgences, il faut travailler "exceptionnellement" le vendredi, de quoi générer "des frustrations" et "des embrouilles".

Par ailleurs, cette organisation n'a pas d'effet de rétention des talents, plusieurs quittent l'entreprise. Le résultat? Une baisse de la cohésion puisque certains "bossaient malgré tout" le vendredi et d'autres non.

Productivité en chute libre, tensions entre les salariés

Surtout, la productivité baisse au fil des mois. "Face à des concurrents qui travaillaient cinq jours par semaine et qui n'hésitaient pas à 'charreter' le soir et le week-end, on commençait à avoir un sérieux train de retard".

Et les choses s'accélèrent, "le mur commençait à apparaître au loin". Des clients partent et la combinaison télétravail et semaine de quatre jours pèse. En juillet 2022, l'activité continue de chuter, les comptes passent dans le rouge, la trésorerie fond: décision est prise de "suspendre" ce qui avait été présenté comme une expérimentation.

"Tout le monde tirait un peu la gueule (...) mais il fallait réagir", se souvient Julien Le Corre.

Et en septembre, la semaine de quatre jours est définitivement arrêtée, mais pas le télétravail. Mais c'est trop tard, "la boîte prenait l'eau, on perdait de l'argent tous les mois (...) on arrivait plus à rentrer de nouveaux projets".

En octobre 2023, malgré des licenciements importants, la liquidation judiciaire est prononcée par le tribunal de Commerce de Paris. "Sept ans de travail épanouis, disparus. Comme ça".

Julien Le Corre achève son récit en listant les 10 "trucs qui ont manqué" dans cette organisation du travail tout en essayant de tracer des perspectives sur le travail en lui-même... sans y laisser sa boîte.

"Jour Off", VA Editions, 17 euros

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business