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Le banquier est au courant d'un énorme deal d'Air Liquide, il en parle à son coiffeur qui le transmet à un financier suisse... 7 financiers en procès pour un délit d'initié hors-norme

Les plus-values réalisés par les accusés sont estimées à plus de 20 millions d'euros.

Les plus-values réalisés par les accusés sont estimées à plus de 20 millions d'euros. - CARINE SCHMITT / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Sept personnes sont renvoyées devant le tribunal correctionnel de Paris, elles sont accusées de délit d'initié hors norme, qui leur aurait permis de réaliser plus de 20 millions d'euros de plus-value.

Ils seront sept sur le banc des accusés. Sept financiers sont renvoyés devant le tribunal correctionnel de Paris en février, accusés d'un délit d'initié hors norme, contesté par six d'entre eux, avec près d'une vingtaine de millions d'euros qui auraient été obtenus, a-t-on appris mercredi de source proche du dossier.

Les prévenus sont convoqués les 4, 5, 9 et 11 février 2026, selon l'ordonnance de renvoi dont l'AFP a eu connaissance, confirmant une information de l'agence Bloomberg.

Au coeur de l'affaire, il y a Stéphane F., 55 ans, qui travaillait à l'époque à la Société Générale, seul à reconnaître les faits. C'est lui qui prend connaissance en novembre 2015 de documents confidentiels autour de l'acquisition imminente de la société américaine Airgas par son rival français Air Liquide, un coup d'éclat sur l'échiquier du gaz industriel. Le producteur de gaz industriels français Air Liquide avait racheté pour 13,4 milliards de dollars (12,5 milliards d'euros) son rival américain Airgas à l'époque.

Ce secret vaut de l'or: acheter des titres concernés avant que l'opération ne soit officielle garantirait aux informés d'un délit d'initié de belles plus-values à la revente. Ce dernier aurait acheté des produits dérivés de l'action Airgas, ce qui lui aurait permis d'empocher une plus-value de 8 millions d'euros.

Le Point avait révélé en 2017 que le banquier au courant de l'indiscrétion en avait informé un ami coiffeur, Thomas S., qui avait lui même confié cette information à un financier de Genève.

Sollicité par l'AFP, son avocat David-Olivier Kaminski s'est refusé à tout commentaire.

Les plus-values cumulées des mis en cause, soupçonnés d'avoir profité de cette information privilégiée, s'élèveraient à 21 millions d'euros au terme de l'enquête, même si l'ordonnance de renvoi ne mentionne "au minimum" qu'une douzaine de millions, estimation du début de l'information judiciaire.

La plus-value est ainsi estimée entre 9 et 12 millions d'euros pour le seul Lucien S., 62 ans, autre principal prévenu, condamné par ailleurs en 2021 à trois ans d'emprisonnement avec sursis pour des dessous de table dans la vente d'un domaine viticole varois. Son avocat, Francis Teitgen, n'a pu être joint par l'AFP mercredi.

Une défense jugée "absurde"

Loin du cliché du délit d'initié cryptique et aseptisé, ce dossier suivi par le Parquet national financier (PNF) et supervisé par deux juges d'instruction financiers parisiens détonne par la gouaille et la grivoiserie des mis en cause, comme échappés d'un roman de Frédéric Dard. "J'ai une érection", lâche l'un d'entre eux sur écoute en songeant à sa plus-value.

"(Mon informateur) me raconte des histoires de pieds nickelés auxquelles je ne crois pas", lance un autre aux enquêteurs, affirmant qu'il n'aurait pas saisi que son tuyau relevait d'une fuite illicite, mais aurait juste corroboré une rumeur circulant chez les boursicoteurs.

Une défense répandue dans ce dossier et jugée "absurde" par les magistrats instructeurs, disposant d'enregistrements téléphoniques diligentés pour de précédents soupçons. Un prévenu justifie son téléphone clandestin prépayé pour cacher une liaison adultère: c'est pourtant sa femme qui répond quand il n'est pas disponible...

"Mettre du beurre dans les épinards"

Stéphane F. était surnommé "l'écrivain" car il a lu "entièrement" le "bouquin", soit des documents confidentiels autour de l'acquisition imminente de Airgas par Air Liquide. Les fichiers sont dissimulés dans les serveurs sous le nom de code "Sangria", mais Stéphane F. les débusque car l'assistante chargée de la numérisation-sécurisation est absente à ce moment-là...

Parmi les prévenus, il y aussi "le cow-boy", Alexis K., 45 ans, déjà mis en examen dans un dossier similaire, à la plus-value ici estimée à plus de 4 millions euros. Quand Lucien S. le présente à la faveur d'un dîner à Thomas S., ce dernier s'écrie, "il est vif et rapide, un véritable cowboy".

Stéphane F., qui a connu Thomas S. par le biais de son beau-frère, explique avoir agi par besoin de reconnaissance et pour "mettre du beurre dans les épinards". Mais assure n'avoir jamais touché les 100.000 euros promis, "tombant des nues" devant les gains empochés par d'autres.

HC avec AFP