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Pourquoi la pénurie de semi-conducteurs pourrait durer jusqu'en 2023

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Dans une note, Mirabaud estime que les mesures annoncées par les grands fondeurs pour répondre à la demande prendront du temps à être effectives. Sans parler du rôle oublié des cryptomonnaies.

C'est la question qui angoisse les industries de l'automobile et de l'électronique grand public. Quand la pénurie de semi-conducteurs qui frappe l'économie mondiale et qui provoque des tensions sur la chaîne d'approvisionnement s'achèvera-t-elle?

Jusqu'à présent, il y avait un certain consensus tablant sur un retour à la normale dans la deuxième moitié de l'année prochaine. Mais cette perspective semble aujourd'hui s'éloigner.

Deux géants de l'automobile ont en effet douché ces espoirs. Le PDG de Daimler affirme ainsi qu'il faudra attendre 2023 pour résoudre cette crise. De son côté, Carlos Tavares, le directeur général de Stellantis, a déclaré que "la crise des semi-conducteurs, d'après tout ce que je vois, et je ne suis pas sûr de pouvoir tout voir, va facilement se prolonger en 2022, parce que je ne vois pas assez de signes indiquant que la production supplémentaire en provenance des sources d'approvisionnement en Asie atteindra l'Occident dans un avenir proche".

Dans une note, le groupe bancaire suisse Mirabaud estime également que "la pénurie des semi-conducteurs pourrait durer plus longtemps que prévu pour de multiples raisons", notamment parce que les mesures annoncées par les grands fondeurs pour répondre à la demande prendront du temps à être effectives.

"Fantasme"

La banque fustige ainsi "le fantasme" de la "réaffectation de la chaîne de production". "Il y a depuis peu une légende urbaine qui consiste à dire qu’une chaîne de production d’un semi-conducteur dédié à un grill pain (par exemple) peut être immédiatement réaffecté à une voiture électrique. Cela n’est pas exact, tant s’en faut".

"En effet, le changement d’affectation d’une chaîne de production de puces très complexes est un exercice de longue haleine, qui peut prendre plusieurs années. De nombreux constructeurs de semi-conducteurs hésitent à deux fois avant d’envoyer des machines de photolithographie (conçues notamment par ASML) de plusieurs centaines de millions de dollars dans une autre usine dédiée à un autre secteur. Il peut y avoir jusqu’à 1400 étapes de processus (selon la complexité du procédé utilisé) dans la fabrication au niveau de la tranche. Et chaque étape du processus implique généralement l’utilisation d’une variété d’outils et de machines hautement sophistiquées", peut-on lire.

Même constat pour les augmentations de capacités promises par tel ou tel fondeur. "Comment l’explique la SIA, l’association américaine des fabricants de semiconducteurs, l’augmentation des capacités des semiconducteurs prend du temps, car les semiconducteurs sont incroyablement complexes à produire. La fabrication d’une puce finie pour un client peut prendre jusqu’à 26 semaines. Typiquement, le temps de cycle de fabrication d’une tranche de semiconducteurs prend en moyenne 12 semaines, mais peut prendre jusqu’à 14 à 20 semaines pour les procédés les plus avancés. Ensuite, la mise en boîtier de la puce (test et assemblage) peut prendre 6 semaines supplémentaires".

Influence considérable des cryptomonnaies

"Par conséquent, le délai, qui va du moment où un client passe une commande à la réception du produit final, peut prendre jusqu’à un total de 26 semaines", rappelle Mirabaud. "Ce qui signifie que même si l’industrie des semi-conducteurs fait actuellement tout ce qu’elle peut à court terme pour augmenter l’utilisation des capacités des productions existantes, cela ne réduira pas la pénurie facilement".

Autre facteur qui risque d'agraver la pénurie, les besoins de nouveaux secteurs en puces. Pour la banque helvète, "on oublie un acteur fondamental lorsque l’on parle de demande: les cryptomonnaies. En effet, les cryptomonnaies ont besoin de beaucoup de puissance de traitement pour fonctionner. Cela signifie que les mineurs de crypto-monnaies achètent des cartes graphiques et des processeurs en grand nombre".

Ainsi, selon la banque Nomura, le rallye du bitcoin et des cryptomonnaies au début de l'année a conduit à une situation où la demande des mineurs de cryptomonnaies a représenté un dixième de l'ensemble des ventes de TSMC, le troisième plus grand fabricant de puces au monde.

"La demande de l'industrie des cryptomonnaies a donc une influence considérable sur le marché des puces. On peut ainsi résumer la situation en affirmant que plus il y a d’engouement (de minage) sur les cryptodevises, plus la demande en semiconducteurs (cartes graphiques) sera élevée.", souligne Mirabaud.

Résultat, pour la banque, "la pénurie de semiconducteurs va se poursuivre au moins pendant les 18 prochains mois. L’augmentation des nouvelles capacités et la réaffectation de certaines chaînes de production ne compenseront donc pas pleinement la demande avant 2023".

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business