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Pourquoi la fin annoncée de la pénurie ne va pas pour autant sauver le secteur des semi-conducteurs

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Une étude du cabinet de conseil Roland Berger envisage une fin imminente de la pénurie mondiale de puces sous l'effet d'un fort ralentissement de la demande. Cependant, le secteur nécessite une hausse de ses investissements afin d'optimiser sa production sur le long terme.

Le secteur des semi-conducteurs entrevoit le bout du tunnel. Largement perturbé en raison de la pandémie, ce segment de marché devrait bientôt assister à la fin de la pénurie qui le touche depuis près de trois ans. C'est en tout cas l'une des perspectives qu'établit le centre de technologie avancée du cabinet de conseil en stratégie Roland Berger dans son rapport du mois de septembre intitulé Semi-conducteurs: une nouvelle forme de problème à l'horizon? Cette problématique sous-entend que, malgré des projections rassurantes à court terme, les véritables enjeux du secteur sont plus structurels que conjoncturels et nécessitent une réponse durable.

Le coup de boost du télétravail est arrivé à terme

Les experts du cabinet allemand constatent tout d'abord que la consommation de produits électroniques a fortement baissé au cours des derniers trimestres après de fortes hausses pendant la pandémie. Pour illustrer cette évolution, Roland Berger mobilise les chiffres des revenus annuels générés par le secteur des semi-conducteurs fournis par ses homologues américains du cabinet Gartner. Après une augmentation de 26,3% de ses revenus entre 2020 et 2021, le secteur devrait ainsi enregistrer une hausse annuelle de seulement 7,4% en 2022 puis une baisse de 2,5% en 2023.

Cette variation négative est surtout due à la baisse des achats d'ordinateurs qui est sans précédent depuis près d'une décennie. Elle survient après une période pandémique faste qui, face à une généralisation du télétravail, a vu de nombreuses entreprises fabricantes commander massivement des puces pour satisfaire la demande mais aussi afin de sauvegarder leur production. Aujourd'hui, beaucoup de ces entreprises accusent d'importants stocks de semi-conducteurs, ce qui réduit leur demande auprès des fabricants de puces.

Le coup de boost de la demande pour les smartphones et les PC provenant du travail à distance est clairement en train de disparaître. Et nous devrions nous méfier des risques que les ajustements des stocks ne soient pas aussi légers que [certaines entreprises] l'espéraient il y a quelques mois", avertit le chef analyste de Rakuten.

Des capacités de fonctionnement vers leur niveau habituel

Ce retrait de la demande a un impact direct sur l'offre des producteurs. Selon les données de l'association de l'industrie des semi-conducteurs (SIA), les ateliers de fabrication ne fonctionnaient plus qu'à 93% de leurs capacités début 2022 contre près de 97% de celles-ci un an plus tôt. Même si ce pourcentage reste bien au-delà du niveau habituel de 80%, le cabinet Roland Berger s'attend à ce qu'il s'en rapproche dans les mois à venir. Là aussi, les stocks de semi-conducteurs des fabricants sont en hausse continue depuis bientôt un an et approchent du seuil critique d'excès selon l'indice du cabinet Gartner.

Il est probable qu'il y ait des épisodes massifs de surstock l'année prochaine", estime un expert du marché sollicité par Roland Berger.

Preuve en est, le ratio entre l'inventaire et les ventes de 22 système électromécaniques qui a augmenté de près de 50% entre sa moyenne sur la période 2012-2019 et la seule année 2021. Seule solution pour limiter les effets néfastes que pourrait engendrer cette situation: une correction rapide des stocks. "Compte tenu du niveau de pénurie, de double commande [...], nous pensons que la correction des stocks à venir pourrait être assez brutale, ce qui conduirait à des réductions de bénéfices potentiellement plus importantes [...] que les cycles baissiers de 2019 et 2016", redoute un analyste.

L'industrie et son secteur automobile parmi les principales victimes

Tous les secteurs industriels et plus spécifiquement le segment automobile ont été les principales victimes de ces pénuries car ils utilisent davantage les circuits intégrés analogiques et les microcontrôleurs qui en étaient eux-mêmes victimes.

Les investissements dans les puces analogiques devraient augmenter mais il est peu probable qu'ils soient suffisants pour répondre à la demande accrue de puces dans les voitures", indique un expert du marché.

Si les fabricants ont sensiblement accru la capacité des semi-conducteurs de petites tailles (en dessous de 40 nanomètres), ils en ont aussi fait de même pour ceux de tailles supérieures (jusqu'à plus de 450 nanomètres) afin de répondre à un rebond de la demande.

Un plan européen insuffisant

Pour compléter son propos, le centre de technologie avancée du cabinet Roland Berger analyse également les récents plans des grandes puissances occidentales afin de gagner en souveraineté sur le marché des semi-conducteurs pour être moins exposées à d'éventuelles crises ultérieures d'approvisionnement. Selon lui, le Chips and Science Act voté aux Etats-Unis en août dernier souffre d'une vision court-termiste malgré une grosse enveloppe de 223 milliards de dollars dont 53 pleinement dédiés aux puces.

La situation semble plus critique pour l'Union européenne dont le Chips Act ne semble pas à la hauteur de l'enjeu avec son "maigre" budget de 43 milliards d'euros. L'objectif est pourtant de représenter 20% de la production mondiale d'ici 2030 contre 10% actuellement à l'aide de dispositif incititatifs pour attirer les investissements dans ce domaine. D'autant plus que les pays asiatiques comptent bien, eux aussi, investir pour devenir les leaders du marché: 200 milliards de dollars pour la Chine et même 450 milliards pour la Corée du Sud.

Des solutions immédiates et d'autres durables

Pour le cabinet de conseil allemand, l'action la plus urgente est une gestion optimisée des stocks qui doit permettre de conserver la quantité juste afin d'affronter les prochaines perturbations d'approvisionnement. Sur le long terme, les experts suggèrent notamment de multiplier les sources d'approvisionnement ou encore les partenariats avec les fabricants de semi-conducteurs.

Les fabricants de pièces électroniques doivent adapter leurs stratégies de conception et d'approvisionnement pour sauvegarder leur production à long terme, car les risques liés à la chaîne d'approvisionnement deviennent moins prévisibles et les fondamentaux de l'industrie restent inchangés", conclut l'étude.
Timothée Talbi