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Nissan: un rapport au vitriol éreinte la gouvernance de Carlos Ghosn

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Image d'illustration - Martin BUREAU - AFP

Un comité désigné par Nissan a passé au crible la gouvernance de l'entreprise et les méthodes de Carlos Ghosn. Dans un rapport de 34 pages, il mène une charge virulente contre l'ancien PDG de l'alliance et recommande d'abolir son ancien poste de président du conseil d'administration.

Le comité désigné par Nissan pour corriger une gouvernance jugée défaillante à la lumière de l'affaire Ghosn a recommandé mercredi l'abolition du poste de président du conseil d'administration que ce dernier occupait, blâmant non seulement son pouvoir prétendument sans limites mais aussi sa stratégie industrielle.

Dans un rapport de 34 pages, il mène une charge virulente contre l'ancien PDG de l'alliance Renault-Nissan, actuellement assigné à résidence à Tokyo dans l'attente de son procès pour malversations présumées.

Selon ce comité composé de sept membres, Carlos Ghosn décidait tout lui-même dans l'entreprise et avait placé "des proches", pour éviter que ses "agissements" ne soient découverts. "Il a créé une situation dans laquelle il était difficile de détecter son appât du gain", a affirmé le coprésident du comité, Seiichiro Nishioka, lors d'une conférence de presse à Yokohama (banlieue de Tokyo), non loin du siège de Nissan.

L'instance reprend à son compte l'ensemble des accusations de Nissan, dépeignant un dirigeant utilisant à son profit l'argent de l'entreprise en puisant notamment dans "la réserve du PDG". Censée parer à des imprévus, comme des catastrophes naturelles, cette cagnotte devrait être supprimée, selon le comité. 

Carlos Ghosn, venu à la rescousse de Nissan en 1999, en était devenu le PDG deux ans plus tard, un poste qu'il a occupé jusqu'en 2017 pour n'en garder ensuite que la présidence du conseil d'administration, tout en restant PDG de Renault. "Il n'était pas possible de s'opposer à lui", insiste le rapport à plusieurs reprises. "Il était déifié au sein de Nissan en tant que sauveur du groupe et ses activités étaient considérées comme un territoire impénétrable". Et le document de critiquer aussi une façon de diriger autoritaire "qui a échoué à laisser s'exprimer une diversité d'opinions", ainsi qu'une "culture des objectifs à court terme".

"Protéger Nissan"

Pour éviter qu'une telle situation de "concentration des pouvoirs" ne se reproduise, le comité propose donc de se passer de président, une mesure présentée comme "audacieuse". Pour apaiser les choses, l'actuel président de Renault, Jean-Dominique Senard, avait indiqué à la mi-mars renoncer à briguer la tête de Nissan. A la place, un administrateur externe devrait être chargé de diriger les réunions du conseil, où les membres indépendants deviendraient majoritaires.

Pour remplir ce rôle, le quotidien économique Nikkei a évoqué Sadayuki Sakakibara, 76 ans, celui-là même qui codirige le comité de gouvernance, mais cela n'a pas été confirmé mercredi. Cet ex-patron des patrons a "un bilan vraiment peu glorieux en termes de gouvernance", estime auprès de l'AFP Zuhair Khan, analyste de Jefferies, qui dénonce depuis longtemps les dysfonctionnements de Nissan. Ancien président de l'entreprise spécialiste des textiles Toray et de la fédération patronale Keidanren, "il ne s'est certainement pas montré exemplaire" dans ces deux organisations, dit-il. "On dirait que la vieille Japan Inc. essaie de protéger Nissan et ses dirigeants, plutôt que d'améliorer sa gouvernance", relève Zuhair Khan.

De même est-il sceptique sur la volonté de Nissan de nommer "des administrateurs réellement indépendants". "Il faut qu'ils aient une expérience solide dans le milieu des affaires", juge l'analyste qui salue en revanche la mise en place de comités distincts (nominations, audit et rémunérations), pour plus de transparence, "la norme à l'étranger".

Responsabilité d'Hiroto Saikawa

Aucun mot en revanche dans le rapport sur les participations croisées qui unissent Nissan et Renault, alors que refont surface dans la presse les rumeurs de discussions de fusion. Rien ou presque sur le patron exécutif, Hiroto Saikawa, qui, le jour-même de l'arrestation de Carlos Ghosn, en avait dénoncé "le côté obscur".

Hiroto Saikawa a affirmé n'avoir été mis au courant qu'à l'automne 2018 des agissements pour lesquels le Franco-Libanais-Brésilien a été inculpé par la justice japonaise (minoration de déclarations de revenus aux autorités boursières et abus de confiance). Mais, selon une source proche du dossier, celui qui était le dauphin de Carlos Ghosn avait eu connaissance bien avant de certains faits aujourd'hui dénoncés.

Il avait ainsi paraphé en 2012 un accord mentionnant le versement à Carlos Ghosn d'une somme de 40 millions de dollars après sa retraite, ainsi qu'une rétribution variable chaque année. Est aussi citée la mise à disposition de logements à Beyrouth, Paris et Rio, et l'utilisation de jets privés. 

Le comité, qui a insisté sur son indépendance face aux critiques, mentionne simplement la signature de Hiroto Saikawa sur des documents, sans autre commentaire.

Jean-Christophe Catalon avec AFP