Le recyclage des serveurs informatiques, le nouveau défi de l'industrie du numérique
Le site industriel est gigantesque. A Mitry-Compans, en Seine-et-Marne, l'entreprise française Evernex vient d'inaugurer sa nouvelle unité de recyclage informatique: pas moins de 6000 mètres carrés dédiés au recyclage, au reconditionnement et à la valorisation des serveurs informatiques dont les entreprises ne veulent plus.
Les serveurs sont des équipements informatiques indispensables qui sont uniquement dédiés à héberger des données des entreprises afin de les exploiter à distance. Ils peuvent être utilisés pour accéder à des fichiers, documents, base de données et/ou pour faire tourner un site web. On les trouve dans les locaux mêmes des entreprises ou par centaines dans les centres de données (datacenters).
Aberration économique et écologique
Problème, alors que les ordinateurs de bureau bénéficient d'une filière de recyclage et de don plutôt efficace, les serveurs en fin de vie (après 4 à 6 ans en moyenne) se retrouvent le plus souvent à la benne à ordures, les spécialistes du recyclage dédié aux entreprises, comme Paprec, ne sachant pas quoi en faire.
Tous les ans, au global, on estime à 2,5 millions de tonnes le volume d’équipements professionnels jetés.
Une aberration économique mais aussi écologique: recycler ce matériel (et donc prolonger sa durée de vie) permet de réduire son empreinte carbone, essentiellement générée (80%) lors de sa fabrication.

Un constat qui a incité une entreprise française à apporter une réponse. Evernex est au départ un spécialiste de la maintenance de ces serveurs (ce qu'on appelle le support). Outre ce business, elle revend des pièces détachées dans toute l'Europe.
Mais petit à petit, l'entreprise réunit un véritable trésor de guerre de 300.000 pièces détachées: des serveurs mais aussi des cartes mères, des processeurs, des disques durs etc. L'idée est venue ensuite comme une évidence. Pouquoi ne pas s'appuyer sur ce stock pour réassembler et reconditionner des serveurs fonctionnels à partir des machines abandonnées par les entreprises?
Quelques années plus tard, cette idée débouche sur la création de ce méga-centre de recyclage à Mitry qui a exigé un investissement de 2,5 millions d'euros. Pour les entreprises propriétaires de ces serveurs en fin de vie "on propose de le mettre à jour avec nos pièces plutôt que de le renouveler" explique à BFM Business, Marc Barbaret, vice-président des ventes pour l'Europe du sud. "Ou bien on récupère les pièces pour assembler de nouveaux serveurs qui seront reconditionnés et vendus à d'autres entreprises à un prix inférieur au neuf", poursuit-il.
A date, l'entreprise dispose de 850.000 pièces réparties dans 350 entrepôts en Europe.
Et de détailler: "Trois scénarios sont possibles. Soit le matériel est vraiment trop ancien et on ne récupère que les matériaux rares mais c'est très minoritaire aujourd'hui. Soit on récupère seulement des pièces pour notre activité de revente. Soit on réutilise ces pièces pour la maintenance de machines défectueuses et allonger leur durée de vie, ou pour assembler de nouvelles machines qui seront testés, certifiées et garanties par nos soins".
Logique opposée à celle des fabricants
Cette approche vient évidemment un peu contrecarrer les objectifs commerciaux des fabricants de ces matériels (Dell, IBM, HP…). "Ils poussent leurs clients à renouveler leurs serveurs tous les cinq ans car ils n'ont plus d'obligation légale de détenir des pièces de rechange, et disent parfois que le reconditionnement n'est pas une bonne idée… Nous, on propose de rafraîchir ou de renouveler avec du recyclé", ajoute Marc Barbaret.
"Les entreprises clientes, comme Décathlon, y voient un intérêt avant tout économique car cela leur revient bien deux à trois fois moins cher qu'un renouvellement avec du neuf. Résultat, on double la durée de vie de ce matériel et on réduit donc ses émissions carbone", explique-t-il.

20% des dépenses des entreprises publiques doivent aller au reconditionné
Evernex compte également profiter de nouvelles obligations environnementales imposées aux entreprises, notamment celle qui oblige les acteurs du secteur public de consacrer au moins 20% de leurs dépenses dans l'achat de matériel reconditionné (loi AGEC).
De quoi dynamiser la démarche de reconditionnement des entreprises "qui n'est pas encore dans toutes les têtes", regrette Marc Barbaret. Le réflexe de renouveler avec du matériel neuf reste en effet très ancré dans les directions.
Bien que l'évangélisation des entreprises à ce sujet soit encore à faire, Evernex revendique "500 tonnes de matériel recyclées chaque année, on est les plus gros en Europe, et une dizaine de milliers de nouveaux serveurs par an créés de toutes pièces" affirme le responsable.
De quoi créer un vrai cycle vertueux, une économie circulaire, qui manque encore cruellement à l'industrie informatique.