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"Le Moyen-Orient a du pétrole. La Chine a des terres rares": comment Pékin utilise ces métaux pour s'affirmer dans la guerre commerciale contre Washington

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Les terres rares sont au cœur des discussions commerciales entre la Chine et les États-Unis mais aussi avec l'Europe car le pays asiatique concentre un tiers des réserves mondiales.

Elle dispose quasiment des pleins pouvoirs. La Chine détient une carte maîtresse dans ses négociations commerciales avec les États-Unis: son contrôle de l'essentiel des gisements de terres rares, minerais stratégiques indispensables à l'économie moderne et à la défense. Pékin a d'ailleurs annoncé jeudi de nouveaux contrôles sur l'exportation des technologies utilisées dans l'extraction et le traitement de ces matériaux.

44 des 110 millions de tonnes mondiales sont en Chine

Dysprosium, néodyme et cérium... les terres rares sont un groupe de 17 métaux lourds en réalité abondants dans la croûte terrestre. Ses réserves mondiales s'élèveraient à 110 millions de tonnes, dont 44 millions en Chine, selon une étude du Service géologique des États-Unis. Mais leur extraction génère une pollution toxique qui rend de nombreux pays réticents à assumer son exploitation.

L'État-parti chinois a investi massivement dans ce secteur, aidée par une réglementation environnementale plus souple que dans d'autres pays. La Chine a aussi déposé un grand nombre de brevets sur le processus de production, confortant sa domination. 92% de la production mondiale est aujourd'hui raffinée en Chine, selon l'Agence internationale de l'énergie.

"Le Moyen-Orient a du pétrole. La Chine a des terres rares", avait déclaré en 1992 Deng Xiaoping, alors dirigeant chinois.

Plus de 400 kilos de terres rares dans le F-35

Les terres rares sont utilisées dans un grand nombre d'appareils du quotidien et de haute technologie, des ampoules aux missiles guidés. Chacune possède des propriétés uniques et sont difficilement remplaçables. Le néodyme est par exemple utilisé pour fabriquer des aimants permanents ultra-puissants présents dans les moteurs des missiles guidés, assurant leur précision et leur efficacité.

L'avion F-35 du constructeur américain Lockheed Martin nécessite plus de 400 kg de terres rares, selon une récente analyse du groupe de réflexion américain Center for Strategic and International Studies (CSIS).

Un levier de négociations pour Pékin

Les exportations chinoises de terres rares ont ralenti depuis début avril, lorsque Pékin a commencé à imposer aux producteurs nationaux l'obtention d'un permis pour pouvoir exporter sept types de terres rares. La décision a été largement perçue comme une mesure de rétorsion aux droits de douane imposés sur les biens chinois par Washington.

Garantir l'accès à ces matériaux stratégiques est depuis devenu la priorité des responsables américains lors des pourparlers avec leurs homologues chinois. Le secrétaire américain au Commerce, Howard Lutnick, s'était dit en juin convaincu que les inquiétudes sur l'accès aux terres rares seraient "résolues".

Le monde qui bouge - L'Interview : Terres rares, la Chine met en garde l'Europe - 20/08
Le monde qui bouge - L'Interview : Terres rares, la Chine met en garde l'Europe - 20/08
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Position de force

Malgré ces promesses, les terres rares restent un point de friction majeur entre les deux puissances, Washington accusant Pékin de ralentir délibérément l'approbation des licences d'exportation. Les nouvelles mesures annoncées jeudi par Pékin imposent des autorisations pour exporter des technologies liées à leur extraction et limitent encore davantage l'exportation de terres rares chinoises par des entités étrangères, dont les aimants à base de néodyme.

"Certaines organisations et individus étrangers ont transféré ou fourni des articles contrôlés de terres rares d'origine chinoise (...) pour une utilisation directe ou indirecte dans des domaines sensibles tels que le militaire", a justifié un porte-parole du ministère chinois du Commerce.

Une forte dépendance

Ce n'est pas la première fois que Pékin utilise cette carte. La Chine avait brièvement suspendu ses livraisons vers le Japon après des tensions dans des eaux disputées. Tokyo s'est depuis efforcé de diversifier ses sources, en signant par exemple des accords avec le groupe australien Lynas pour une production en Malaisie et en développant ses capacités de recyclage. Mais certains experts jugent que Tokyo n'a réalisé que des progrès marginaux, soulignant la difficulté de réduire réellement la dépendance à la Chine.

Le ministère américain de la Défense ambitionne lui de développer des chaînes d'approvisionnement nationales afin de garantir d'ici 2027 un accès sécurisé aux terres rares nécessaires pour certains armements.

HC avec AFP