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Coronavirus du chat: un nouveau traitement enfin autorisé en France pour combattre la PIF, une maladie fatale

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Faisant plusieurs milliers de victimes chaque année, aucun traitement ne permettait de soigner la péritonite infectieuse féline (PIF), sauf sur le marché noir.

Bien moins médiatisé que la Covid-19, un autre type de coronavirus s'est aussi propagé ces dernières années chez nos félins domestiques. La péritonite infectieuse féline, ou PIF, est très répandue dans les environnements à forte densité de chats et s'avère presque toujours fatale. Mais un nouveau traitement par voie orale vient d'être autorisé sur le marché français, plus de 60 ans après la découverte de la maladie.

Peu de chiffres tangibles permettent de se rendre compte de l'état de la situation, mais une estimation est tout de même possible. D'après Karim Khoukh, responsable du préparatoire Pharmacie Delpech à Paris, 80% des chats qui vivent en collectivité dans des refuges ou des élevages sont susceptibles d'être porteurs sains du FCoV, endémique et bénin dans la majorité des cas, et environ 20% pour ceux qui vivent seuls chez des particuliers. Ainsi, il estime que plus d'1 chat sur 2 est concerné.

Toutefois, les chances de voir apparaître une mutation dans le génome du virus sont plus minimes. Environ 2% des félins infectés développent la PIF, ce qui correspond tout de même à plus de 150.000 individus sur les 15 millions de chats présents en France. Cela se traduit par des symptômes assez variés (fièvre, apathie, perte de poids, yeux collés, inflammations internes…) et mène donc au décès du chat porteur si aucun traitement n'est administré.

"La PIF semble toucher davantage les chats de race et plus jeunes, mais en réalité tous les âges sont concernés", détaille Karim Khoukh.

Ce dernier précise que la mutation a généralement plus de chances d'intervenir lorsque l'environnement est plus stressant, notamment dans des élevages en surpopulation. Une certaine sensibilité génétique semble aussi entrer en jeu: des études montrent que les Siamois, Abyssins, Bengal et Persans par exemple ont des prédispositions génétiques et sont donc surreprésentés.

Un nouveau traitement enfin autorisé

Et puisqu'il n'existait pas de traitement, beaucoup ont donc été tentés de se fournir sur le marché noir avec des molécules non autorisées en France -en particulier fournies par la Chine.

"On estime qu'environ 1 médicament sur 2 dans le monde est une contrefaçon et le business autour des traitements de la FIP s'avère très rentable, étant donné la prévalence attendue de la maladie", déplore Nathalie Baillié, Directrice générale du préparatoire FrancePrep, qui appelle également les vétérinaires et les associations d'éleveurs -comme la Loof- à s'emparer du sujet pour éviter le recours à des produits issus du marché noir.

Ces traitements -parfois douteux- sont proposés à des prix élevés, pouvant faire gonfler la facture à plus de 2000 euros pour réaliser un traitement complet pour un chat. En revanche, ces solutions proposent des taux de principes actifs variables, ce qui peut mener à du surdosage ou du sous-dosage.

Heureusement, l'Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) et l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) ont finalement autorisé l'utilisation d'une nouvelle molécule, ouvrant la voie à la commercialisation d'un traitement légal en préparation magistrale. Les deux leaders de la préparation magistrale vétérinaire en France, FrancePrep et Delpech Paris, travaillent en lien avec l'Anses et des spécialistes de cette pathologie sur le bon usage de ce traitement qui est déjà utilisé dans de nombreux pays comme aux États-Unis, au Royaume-Uni ou en Australie depuis 2021.

Issue des recherches du laboratoire américain Gilead, "la molécule est exploitée par le laboratoire australien Bova dans le cadre d'un traitement par voie orale", complète Florence Tornabene, Directrice Générale de FrancePrep.

Le GS-441524 est mis à disposition en France dans un médicament sous la forme d'une suspension buvable. Les chances de guérison de la PIF avec ce traitement sont de l’ordre 85%.

Dernièrement, tous les professionnels du secteur ont participé au dernier congrès de l'association Française des Vétérinaires pour Animaux de Compagnie (AFVAC) organisé à Lyon du 21 au 23 novembre. L'occasion pour les pharmaciens de sensibiliser les vétérinaires à l'utilisation et la disponibilité du nouveau traitement.

"Certains ne savent pas qu'un traitement légal est désormais disponible et beaucoup se posent encore des questions sur son caractère légal", justifie Karim Khoukh.

La pharmacie Delpech commercialise aussi depuis cet été une préparation magistrale de ce dérivé analogue du remdesivir qui reste à ce jour la seule molécule autorisée pour le traitement de la péritonite infectieuse féline (PIF). Un tout récent règlement européen restreint, voire interdit, l'utilisation de certains antimicrobiens hors AMM (Autorisation de Mise sur le Marché). Mais des exceptions sont accordées en ce qui concerne les animaux domestiques.

"Plusieurs études depuis 2019 - en majorité aux États-Unis - ont montré l'efficacité de cette molécule et le conseil scientifique de l'agence européenne du médicament a délivré un avis favorable pour le traitement de la PIF", détaille Karim Khoukh.

Des risques de mutation non exclus

Si les vétérinaires français n’avaient pas encore l’autorisation d’utiliser la molécule, c’est que le laboratoire Gilead préférait la destiner aux humains (urgence Covid-19 oblige). L’AMM n’a donc pas été demandée et l’autorisation de l’exploiter n’a ainsi jamais été délivrée.

Si les effets secondaires rapportés à ce jour sont minimes - quelques cas de diarrhées légères, les risques de développement de mutations ne sont pas à prendre à légère. "Nous avons déjà traité plus de 1000 chats et nous n'avons aucun retour sur le manque d'efficacité, fait valoir Karim Khoukh. Il n'existe pas non plus de preuves sur les risques de transmission à l'homme, mais il faut surveiller d'éventuelles mutations, car le risque, bien que très faible, existe".

D'autant plus que ce traitement créé par Bova n'a pas été soumis à une Autorisation de mise sur le marché (AMM).

"Le risque est toujours là, mais il n'y pas de raison que cela se produise si les recommandations et la posologie sont respectées", affirme Nathalie Baillié.

Le traitement doit suivre les recommandations internationales en termes de durée de traitement (84 jours), les posologies en fonction de la typologie de la forme de PIF et le poids du chat.

"Il faut que cela soit encadré, car il ne faut pas arrêter le traitement en cours de route et surtout éviter à tout prix d’administrer ce traitement en prévention, prévient Nathalie Baillié. Certaines chatteries qui ont perdu des chats à cause de cette maladie peuvent être tentées par cette pratique". Ce médicament est désormais autorisé par ordonnance d’un vétérinaire, et c’est uniquement sur la base d’un diagnostic de certitude que le chat pourra être traité.

"Joie et soulagement" chez les vétérinaires

"Les vétérinaires étaient démunis face à la PIF et ils savaient que des traitements illégaux existaient sur le marché noir", décrit Youcef Boukaache, vétérinaire à la Pharmacie Delpech. Cela aurait par ailleurs dégradé la confiance accordée à certains vétérinaires "qui ont dû expliquer que cette pathologie est fatale et ne pas avoir de traitement à proposer".

"Cette nouvelle a été accueillie avec beaucoup de joie et de soulagement par les vétérinaires qui se trouvaient dans une situation très compliquée depuis des années", confirme Maxime Kurtz, vétérinaire et responsable de la sous-commission "Péritonite Infectieuse Féline" du Comité Scientifique du Loof.

Lui-même a été confronté à ce type de cas et a conseillé de se tourner vers des traitements du marché noir, tout en ayant conscience du risque pris. "Ces substances ne sont pas reconnues comme des médicaments, je ne peux pas les prescrire sous ordonnance", explique-t-il. Et c'est bien ce flou juridique qui permet leur mise en vente, bien que le fait de l'injecter soi-même à son propre chat reste illégal.

Les traitements autorisés en France sont donc délivrés sous ordonnance, ce qui rend donc le suivi thérapeutique bien plus encadré. Pour Maxime Kurtz, la majorité des Français font toutefois "confiance aux professionnels vétérinaires" et le phénomène qui consisterait à administrer le traitement en prévention devrait être minime étant donné son coût prohibitif.

Un prix toujours prohibitif

"C'est une vraie révolution thérapeutique et une chance pour beaucoup de propriétaires de chats malades", félicite Maxime Kurtz qui se réjouit de voir que le vétérinaire est enfin remis au centre de la gestion de cette maladie. Seul frein qui pourrait encore convaincre certains Français de se risquer sur le marché parallèle: le prix.

"Les revendeurs comme CureFIP achètent souvent des molécules en Chine qui sont soumises à moins de normes qu'en Europe, ce qui leur permet de jouer sur les prix", dénonce Youcef Boukaache. Un réseau "très bien organisé qui s'est dernièrement aligné à nos prix moins élevés" pour rester concurrentiel.

La Pharmacie Delpech assure pouvoir maintenir un coût global de traitement "en dessous des 1.000 euros pour un chat avec un poids dans la moyenne" et ajoute n'avoir "aucune limite" en termes de capacité de production. "Nous pouvons atteindre 1.000 préparations par jour s'il le faut", promet Youcef Boukaache.

"Le coût reste toujours plutôt élevé, car l'accès à la molécule reste très cher", raconte Nathalie Baillié. Si FrancePrep n'exclut pas de baisse de prix ces prochaines années, celle-ci ne devrait toutefois pas être "significative". D'autres pistes sont aussi envisagées auprès des assureurs d'animaux de compagnie pour prévoir une prise en compte de ces frais dans leurs garanties.

Pierre Berthoux