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"Il fait des gros coups marketing et il rebondit ailleurs": anatomie du départ programmé du patron de Renault

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Malgré le coup de tonnerre de l'annonce dimanche soir, le départ de Luca de Meo tournait depuis quelques jours chez Renault. Après avoir redressé le constructeur, il rêvait de diriger le grand rival Stellantis.

Cela faisait plus d’un an que Luca de Meo pensait à la suite mais son départ reste une surprise. Le directeur général de Renault quittera ses fonctions mi-juillet et est fortement pressenti pour diriger le groupe de luxe Kering. Selon nos informations, il a annoncé sa démission au président du groupe jeudi dernier, après une réunion sur son futur plan stratégique.

Devant le conseil d’administration de Renault, il a fait un point d’étape de sa feuille de route, baptisée "Futurama", pour 2026. Autour de la table notamment, le représentant de l’État actionnaire (15%), Alexis Zajdenweber. À l’issue de la présentation, il a demandé à voir Jean-Dominique Senard pour lui annoncer la nouvelle.

"Ça faisait une dizaine de jours qu’il avait eu vent de son départ, assure un de ses amis. Mais ce n’était pas la première fois que la rumeur courait."

Des sources en Italie lui avaient aussi remonté les mêmes bruits depuis près d’un mois… Dans la foulée, le patron de Renault a appelé le secrétaire général de l’Élysée pour le prévenir. Emmanuel Moulin, à Bercy, avait contribué à sa nomination à la tête de Renault début 2020.

Jamais plus de cinq ans au même poste

"Quand on a compris que Luca n’irait pas chez Stellantis, en début d’année, on pensait qu’il resterait", reconnait un cadre de Renault encore un peu sous le choc. Chez Renault, son envie de changement était connue. Luca de Meo, 58 ans, était en campagne depuis début 2024. Il venait d’annoncer des bénéfices records de 2,3 milliards d’euros pour 2023. Quatre ans après le traumatisme de l’affaire Ghosn, Renault était redressé.

"Luca n’est jamais resté plus de cinq ans au même poste, explique un ancien cadre du groupe. Il fait des gros coups marketing et rebondit ailleurs."

L'Italien a relancé la R5 après avoir ressuscité successivement la Fiat 500 et la marque Seat (lors de son passage dans le groupe Volkswagen). Les plus réalistes avaient déjà prévenu. "Luca de Meo partira avant que Renault ne soit adossé à un nouveau partenaire", nous confiait un cadre du constructeur il y a un an.

Héros de Renault, Luca de Meo manœuvrait en réalité depuis un an. En 2024, il était en position de force pour décrocher un second mandat de directeur général. Les négociations sur sa rémunération ont été toutefois âpres avec le conseil d’administration. Renault ne voulait pas relancer de polémique après les super-salaires de Carlos Ghosn.

"Certains administrateurs avaient peu goûté à l’épisode de la cotation en Bourse d’Ampere", rapporte un proche du groupe.

Fin 2023, Luca de Meo militait pour introduire en Bourse la filiale de Renault spécialisée dans les véhicules électriques. Selon nos informations, le conseil d’administration freinait sur ce projet depuis l’été 2023. Mais le patron du constructeur insistait, visant aussi le poste de PDG de cette filiale. "Il visait une super valorisation d’Ampere et les stock-options avec!", persifle un cadre qui travaillait sur le projet.

Renault se préparait à son départ depuis un an

Luca de Meo visait haut, beaucoup plus haut que Renault. Pendant qu’il négociait son second mandat, il lorgnait déjà la succession de Carlos Tavares qui se jouait chez le rival Stellantis. Surfant sur ses résultats record, il s’était invité dans le jeu, sans démentir ni confirmer ses ambitions. Chez Renault, personne n’était dupe.

"Jean-Dominique Senard savait que De Meo avait la bougeotte", s’amuse un bon connaisseur du groupe.

Le président du groupe se préparait au mercato. Selon nos informations, il avait déjà dans le viseur, il y a un an, le numéro deux de Stellantis, Maxime Picat. Mais après avoir échoué à succéder à Carlos Tavares, il fait toujours figure de favori, aujourd’hui, pour prendre la suite chez Renault.

Luca de Meo soignait aussi son image jusqu’à dépêcher une agence de communication en Italie pour entretenir son réseau à Milan et à Turin, le fief de Fiat. Il a affiné sa ligne pour mieux passer à l’écran. En fin d’année dernière, il a organisé et participé à un documentaire à sa gloire, racontant comme il a redressé Renault. Anatomie d’un come-back (diffusé sur Amazon Prime Video), en référence à la Palme d’Or du festival de Cannes 2023 Anatomie d’une chute, devait l’ériger au "Panthéon des patrons" de l’auto et tourner définitivement la page Carlos Ghosn. Cette "starification" a fait grincer des dents chez Renault et rappelait de mauvais souvenirs.

Matthieu Pechberty Journaliste BFM Business