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Trop de solaire tue le solaire? Pourquoi le surplus d'électricité photovoltaïque inquiète en Europe

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La présidente de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) Emmanuelle Wargon a estimé mercredi qu'il faudra "peut-être ajuster" à la baisse le rythme de développement des énergies renouvelables.

La France se dirige-t-elle vers un recul de l'électricité solaire? La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE3), actuellement débattue au Parlement, fixe une trajectoire pour garantir la sécurité énergétique et la maîtrise des prix, et pour être moins dépendant des importations en gaz et en pétrole. Concrètement, il s'agit de ramener la part des énergies fossiles dans la consommation finale énergétique en France d'environ 60% en 2023 à 42% en 2030, puis à 30% en 2035.

Pour ce faire, la feuille de route mise sur de l'électricité principalement bas carbone (nucléaire et renouvelable) avec une part qui augmentera de 27% à 39% entre 2023 et 2035, et par des énergies renouvelables hors électricité (géothermie, biomasse...) qui doivent être portées de 15% à 30%. L'ambition du rythme de déploiement des renouvelables est confirmée en particulier pour l'éolien offshore, tandis que l'éolien terrestre doit se maintenir à son rythme actuel. En revanche, le document lève le pied sur la croissance du solaire.

Mercredi, la présidente de la commission de régulation de l'énergie Emmanuelle Wargon a elle-même abondé dans ce sens dans une déclaration aux Echos : "Il faudra peut-être ajuster à la baisse certaines cibles en matière d'offre électrique, car la demande a pris du retard [...] Nous devons continuer à mobiliser le parc nucléaire et hydraulique historique, mais il y a un peu de marge du côté des autres énergies renouvelables."

Un déséquilibre entre production et demande à l'origine de la panne en Espagne lundi?

Cette semaine, la péninsule ibérique a été témoin d'une panne géante qui a ravivé les critiques à l'encontre du caractère non-pilotable des énergies renouvelables, particulièrement développées de l'autre côté des Pyrénées. Selon le gestionnaire du réseau électrique espagnol REE, le solaire et l'éolien ont représenté en 2024 près de 40% du mix électrique espagnol. C'est près de deux fois plus qu'en 2014, et près du double également de la part du nucléaire, tombée l'an dernier à 20%.

Une évolution résolument défendue par l'exécutif, qui s'est engagé à fermer toutes les centrales nucléaires d'ici 10 ans, mais source de tensions dans le pays, alors que plusieurs rapports ont pointé ces derniers mois de possibles risques en l'absence de mesures fortes pour adapter le réseau. Dans son document financier annuel publié fin février, la maison-mère de REE, Redeia, avait ainsi mis en garde contre "la forte pénétration de la production renouvelable sans les capacités techniques nécessaires à un comportement adéquat face aux perturbations".

Cela pourrait "provoquer des coupures de production", qui "pourraient devenir sévères, allant jusqu'à entraîner un déséquilibre entre la production et la demande, ce qui affecterait significativement l'approvisionnement en électricité" de l'Espagne, avait-elle écrit.

Un message relayé par le gendarme de la concurrence espagnol (CNMC) dans un rapport de janvier. "A certains moments, les tensions du réseau de transport" d'électricité "ont atteint des valeurs maximales proches des seuils autorisés, les dépassant même à certains moments", avait écrit l'organisme. Après la coupure de lundi, certains experts du secteur se sont interrogés sur un éventuel déséquilibre entre production et demande (plus difficile à corriger dans un réseau où l'éolien et le solaire pèsent davantage) qui aurait pu contribuer à l'effondrement du système électrique espagnol.

Dans un entretien accordé mercredi matin à la radio Cadena Ser, la présidente de Redeia et REE, l'ex-députée socialiste Beatriz Corredor, a cependant assuré que la production d'énergies renouvelable était "sûre". "Relier l'incident si grave de lundi à une pénétration des renouvelables n'est pas vrai, ce n'est pas correct", a-t-elle insisté, en assurant que le rapport de février ne faisait que dresser la liste de risques potentiels, comme l'y oblige la législation.

L'Allemagne veut accélérer sur ses capacités de stockage

Outre-Rhin, les renouvelables sont aussi sources de méfiance chez certains défenseurs du nucléaire, notamment à l'occasion des dernières élections. Eolien, solaire, biomasse ou encore hydraulique ont connu un bond spectaculaire et ont couvert près de 60% de l'électricité produite en Allemagne l'an dernier, pour un objectif de 80% à l'horizon 2030.

Mais la production intermittente des renouvelables met le réseau sous tension : lors des pics de soleil et de vent, l'infrastructure est saturée, et lors des creux, le pays importe du courant à prix fort. Cet hiver, l'Allemagne a dû s'appuyer sur le nucléaire français et le charbon polonais pour éviter des coupures.

Pour parer à ce déséquilibre, les batteries stationnaires connaissent cependant un développement exponentiel : quelque 100 nouveaux grands systèmes de stockage d'une capacité de 0,8 GW, proche de la capacité installée d'un réacteur nucléaire, ont été mis en service en 2024, plus du double de l'année précédente. Il en faudra cependant beaucoup plus pour pallier l'intermittence du solaire et l'éolien.

Timothée Talbi avec AFP