Allemagne: les élections ravivent les tensions autour de la sortie du nucléaire

L'Allemagne va-t-elle faire machine arrière sur le nucléaire? Près de deux ans après l'arrêt de ses trois dernières centrales nucléaires, le débat revient sur la table à l'occasion des élections législatives anticipées. Deuxième dans les sondages, le parti d'extrême-droite Alternative pour l'Allemagne (AfD) considère par exemple que la question des coûts de l'énergie lui permet de gagner des voix. Elle critique en particulier l'abandon progressif de l'atome en Allemagne, initiée dans les années 2000 et soutenue par tous les partis traditionnels.
Lorsque l'Allemagne a arrêté ses trois dernières centrales nucléaires en avril 2023, elle est devenue importatrice nette d'électricité vis-à-vis de la France, qui produit environ 70% de son électricité à partir du nucléaire. Si les importations françaises ne représentent que 3% de la consommation d'énergie de l'Allemagne, cette situation irrite certains partis outre-Rhin alors que le pays a été durement touché par la crise énergétique en raison de difficultés d'approvisionnement.
En 2024, l'Allemagne a augmenté ses importations d'électricité, en hausse de 13,8%, tandis que ses exportations ont reculé de 10%. Avec un prix de gros nettement moins cher qu'en Allemagne, la France a été son premier fournisseur d'électricité et a détrôné le Danemark. Le prix moyen de l'électricité en Allemagne a tout de même fortement diminué en 2024, après avoir atteint des sommets durant la crise énergétique provoquée par la guerre russe en Ukraine en 2022.
Les conservateurs favorables au redémarrage de centrales
Favorite des sondages, la CDU, qui devrait diriger un gouvernement de coalition après les élections, n'a pas exclu de redémarrer des centrales nucléaires, une possibilité jugée peu réalistes par les experts. Son chef de file, Friedrich Merz, a qualifié leur fermeture de "décision fatale". Une décision pourtant prise par l'ex-chancelière conservatrice Angela Merkel suite à l'accident de la centrale japonaise de Fukushima en 2011 et qui a aujourd'hui du mal à passer dans l'électorat de l'AfD.
Aujourd'hui, l'ancienne cheffe d'État campe sur ses positions et recommande de ne pas revenir en arrière sur l'énergie atomique en Allemagne, comme certains le préconisent.
"Nous n'en avons pas besoin pour satisfaire à nos objectifs climatiques, être performants technologiquement et insuffler ce faisant du courage à d'autres pays", écrit-elle dans ses mémoires intitulées Liberté et publiées fin novembre.
Une part record de renouvelables dans l'électricité produite en 2024
La plus grosse économie européenne est aujourd'hui largement convertie aux énergies renouvelables, aussi bien l'éolien que le solaire. Leur part a ainsi battu un nouveau record dans l'électricité produite à l'échelle nationale en 2024, première année où le nucléaire a donc disparu du bouquet de production de la première économie européenne. Éolien, solaire, biomasse, énergie hydraulique: les sources renouvelables sont passées de 56% à 59% de la production totale d'électricité.
Au total, l'Allemagne a produit 431,7TWh d'électricité en 2024, soit une baisse de 4,2% par rapport à l'année précédente. L'éolien terrestre comme le maritime sont la première énergie du pays avec 31,9% de la production totale, quasiment au même niveau que 2023. Mais la part de l'énergie photovoltaïque a bondi et s'élève désormais à un septième du bouquet allemand, "grâce à l'augmentation de la puissance nette installée et l'ensoleillement exceptionnel de cet été" d'après le régulateur allemand de l'énergie.
L'Allemagne poursuit également ses adieux au charbon, source énergétique historique de la première économie européenne. Sa part a diminué de 26% à moins de 23%, alors que le pays souhaite sortir du charbon d'ici 2035. Favorisé par des prix bas, le gaz naturel a aussi progressé de 8,6%, pour atteindre 13,2% de la production totale. Le gouvernement d'Olaf Scholz mise sur cette énergie fossile afin de pallier l'intermittence de l'éolien et du solaire.
Vives critiques à l'encontre de la politique énergétique de la gauche
Le gouvernement allemand espère toujours atteindre 80% d'électricité renouvelable dans la consommation brute d'électricité d'ici à 2030, un objectif jugé ambitieux. En comparaison, la part de renouvelables atteint 51% en Espagne, 37% en Italie et 25% en France, d'après le site franco-danois Electricity Maps. La politique énergétique des sociaux-démocrates et des écologistes au pouvoir est vivement critiquée en Allemagne. Entre une législation mal ficelée et très impopulaire sur la modernisation des chaudières et le développement de l'éolien, les Verts ont perdu beaucoup de plumes dans l'opinion. Leurs mesures sont dénoncées comme trop coûteuses par beaucoup de ménages et par l'opposition de droite.
De l'autre côté de l'échiquier politique, les conservateurs de la CDU, bien qu'ils ne remettent pas en cause l'objectif de neutralité climatique, sont moins favorables au développement des éoliennes tandis que le parti d'extrême-droite AfD veut même éradiquer ce qu'il qualifie de "moulins à vent de la honte". Or, l'Allemagne s'est engagée à réduire de 65% ses émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030, pour atteindre la neutralité carbone en 2045. Après un ralentissement de la baisse des émissions l'an dernier, le pays manquera ses objectifs en 2030 s'il ne change pas de trajectoire, d'après un récent rapport d'experts du climat.
Alors que des voix pro-entreprises exhortent le pays à reporter ses objectifs de réduction nette d'émissions de carbone, le consensus politique reste favorable à une transition énergétique qui permettrait de maintenir les ambitions climatiques et de promouvoir une nouvelle génération d'emplois et de croissance verte. Reste à savoir où trouver l'argent. Selon l'institut économique IW, les défis structurels de l'Allemagne, qu'il s'agisse de ses besoins énergétiques, de ses obligations en matière de climat ou des améliorations attendues en matière de logement, de transport et de formation, nécessiteraient 600 milliards d'euros au cours de la seule décennie à venir.