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Trop de renouvelable en France? Le pays "jette" de plus en plus d'électricité non consommée et ça ne fait même pas baisser les prix

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10% de l'énergie solaire produite en 2025 n'a pas été consommée. La faute à des pics de production, auxquels le réseau et les producteurs doivent s'adapter.

Le chiffre a été multiplié par deux en un an: selon le rapport du gestionnaire de réseau d'électricité RTE, la France a écrêté 2 TWh (térawattheures) d'électricité renouvelable au premier semestre 2025, contre 1,1 TWh en 2024. Derrière ce terme barbare, une réalité de plus en plus contraignante pour les acteurs de l'énergie renouvelable comme pour les consommateurs: la France gaspille de l'électricité renouvelable tous les ans, du fait de surproductions.

Dans le détail, la France a jeté près de 0,8 TWh de production éolienne (c'était 0,7 TWh en 2024) et 1,2 TWh d'énergie solaire, un montant multiplié par trois par rapport aux six premiers mois de 2024. En tout, la France ayant produit 273,4 TWh d'électricité (toutes sources d'énergies confondues), ce gaspillage représente 0,7% de perte.

Le mécanisme les entraînant est assez simple: les énergies renouvelables ont des productions intermittentes - elles ne produisent pas de façon stable la même quantité d'énergie. Lors d'événements climatiques favorables (plus de vent, plus de soleil), elles peuvent fournir trop d'énergie, et un surplus apparaît, que l'on décide de perdre - c'est "l'écrêtement".

Ce, pour plusieurs raisons: non-rattachement ou rattachement partiel au réseau des installations de production, ou câbles et liaisons déjà saturées; ou bien encore production d'une telle quantité d'énergie qu'il est impossible de compenser - en stockant l'électricité ou surtout en abaissant la production des énergies dites pilotables (dont on peut ajuster la production) comme l'hydroélectricité et le nucléaire.

Crise de croissance

Les renouvelables sont aussi victimes d'une crise de croissance : 2,1 GW (gigawatts) de capacité solaire et 0,2 GW de capacité éolienne (terrestre et en mer) installées entre janvier et mai, portant la capacité à fin mai 2025 à 26,4 GW pour le solaire, et 24,6 pour l'éolien. La production d'énergie solaire a bondi de 3,5 TWh par rapport à l'année dernière ; en juin, le solaire a même dépassé le nucléaire en France. Cela augmente mécaniquement les risques de surplus, et donc les pertes enregistrées. RTE souligne que les chiffres explosent pour le solaire.

"En moyenne entre avril et juin, la production écrêtée correspond à environ 10 % du volume théoriquement produit pour le solaire (contre 5 % en 2024 et 1 % en 2023)", explique le gestionnaire réseau.

Malgré des exportations vers des pays étrangers en hausse (37,6 TWh ont été exportés par la France sur les 6 premiers mois, soit 13% environ), le phénomène ne devrait donc pas faiblir. Jean-Paul Harreman, directeur du cabinet Montel Analytics, explique ainsi que le pire est à venir, cet été.

"Les prix négatifs de l’électricité devraient atteindre des niveaux record dans certaines régions d’Europe au troisième trimestre. Cette tendance est alimentée par l’expansion continue des capacités renouvelables, en particulier du solaire, sans augmentation équivalente de la demande sous-jacente."

Cette augmentation devrait aussi se poursuivre du fait des difficultés éprouvées par les filières nucléaire - en attendant les réacteurs de nouvelle génération, EDF a fait face à des problèmes de corrosion - et hydroélectrique - avec des sécheresses récurrentes.

Des prix négatifs et pas de demande

La conséquence majeure de cette montée en cadence des renouvelables est la variation des prix: durant les pics de production, les prix peuvent être négatifs, les industriels préférant vendre à perte plutôt que d'éteindre leurs sites de production, longs à redémarrer. Cela a été le cas pendant 363 heures en France, un record là encore, même si c'est moins qu'en Espagne (459 heures) ou en Suède (506 heures), deux pays aux stratégies renouvelables ambitieuses. A l'inverse, le soir venu, les prix remontent en flèche, car la production renouvelable laisse la place aux centrales fossiles.

Paradoxe soulevé par RTE: malgré la hausse des gaspillages et l'augmentation des prix négatifs, le prix de l'électricité moyen ne baisse pas. Il augmente même, à 67 €/MWh en moyenne sur les six premiers mois de 2025. Le signe d'une divergence de rentabilité profonde entre les différentes sources d'énergie: les renouvelables deviennent, et de loin, la source la moins onéreuse de production d'électrité. Ce qui recoupe les chiffres de l'IRENA, l'agence internationale des renouvelables : 91% des nouvelles capacités renouvelables installées en 2024 délivraient une électricité moins chère que leurs contreparties fossiles.

Pour les industriels consommateurs d'énergie, les variations peuvent être compliquées à gérer. Les conséquences sur le réseau, régulièrement mis en tension, sont également importantes. Côté consommateurs, la principale conséquence peut être de tirer vers le bas le prix du rachat, pour les foyers qui produisent leurs électrons: il est alors plus cohérent d'autoconsommer. Côté factures, pas de répercussion immédiate : cette énergie en terres négatives est consommée par des entreprises. Et les producteurs d'électricité pénalisés sont dédommagés par l'Etat, ce qui peut coûter aux finances publiques et avoir un effet négatif sur les factures in fine (à l'inverse, les contrats prévoient que les producteurs une partie de leurs bénéfices quand les prix sont très hauts).

Investir massivement pour mieux contrôler les pics

Pour les producteurs d'électricité, les prix négatifs sont problématiques, car ils limitent les profits, et surtout, ils mettent en péril les installations. En cas de prix négatif, ils préfèrent souvent vendre mais pourraient arrêter la production; une option qu'explore l'espagnol Iberdrola, par exemple, sur ses éoliennes du parc au large de Saint-Brieuc (Côtes d'Armor). Les turbines sont arrêtées momentanément, mais ce stop & go les abîmerait à long-terme.

Côté EDF, une autre problématique apparaît : quand des pics de renouvelables se produisent, les centrales nucléaires doivent être mises en partie au repos et ne pas produire. Mais ces centrales ne peuvent évidemment pas être arrêtées, encore moins pour quelques heures chaque jour; EDF a donc des coûts qui restent les mêmes, sans la production qui va avec.

Les solutions pour pallier à ces pics, qui déséquilibrent donc le réseau et ses acteurs, sont multiples. Encourager, d'abord, la consommation d'électricité en heures creuses - notamment l'après-midi pendant l'été, en plein pic solaire. Cela passe par une refonte des tarifs proposés aux consommateurs par EDF. L'installation de bornes de recharge pour véhicules électriques, très répandus aux Etats-Unis ou en Allemagne, pourrait encourager les recharges durant les heures creuses et apporter un soutien au réseau.

Surtout, RTE prévoit un investissement de 100 milliards d'euros pour adapter les infrastructures à l'éclosion du solaire. Ce plan vise à renforcer les interconnexions, développer le stockage, et moderniser le réseau pour lui permettre de mieux supporter les variations. Enedis doit de son côté gérer un million de points de production, à raccorder.

Sans ces aménagements, reste à tolérer les pertes engendrées par les pics: "Vous pouvez faire en sorte que votre réseau absorbe chaque kilowattheure produit. Ou bien, parce que le vent ou le soleil ne génèrent aucun coût marginal, tolérer d'en perdre un peu, du moment que vous en avez finalement assez produit", explique par exemple le spécialiste Mark Hedin, d'Aurora Energy Research, auprès du Financial Times.

Valentin Grille