Résilier ou renégocier? Ces entreprises dans l'impasse après l'explosion de leur facture d'électricité

Le repli est spectaculaire. A plus de 1000 euros le mégawattheure fin août, le prix de l’électricité de gros pour livraison en 2023 est tombé à 240 euros/MWh la semaine dernière, au plus bas depuis avril. "Personne ne s’attendait à ce que ça baisse autant", reconnaît Nicolas Leclerc, cofondateur d’Omnegy, cabinet de conseil et de courtage en achat d’énergie.
Une bonne nouvelle pour les consommateurs? Pas vraiment à ce stade. Car ces variations de prix de gros ne se reflètent pas directement sur les prix facturés au client final, les fournisseurs d’électricité lissant leurs tarifs, a fortiori en cette période incertaine où les prix peuvent bondir d’un jour à l’autre.
Des contrats conclus "sur la base de prix déraisonnables"
Les entreprises et en particulier les plus petites sont bien placées pour le savoir. Entre celles qui ont vu leur abonnement être tacitement reconduit ces derniers mois, avec une explosion de la facture à la clé, et celles qui n’ont eu d’autres choix que de renégocier un nouveau contrat au pire moment à des prix délirants, beaucoup partagent le sentiment de s’être fait avoir. "Aujourd’hui, on trouve assez facilement un abonnement à moins de 180 euros le mégawattheure. Mais quand vous avez signé cet été à 800 ou 900 euros et que vous êtes engagés sur 24 mois, vous ne pouvez plus en sortir", déplore Stéphane Manigold, président du groupe Eclore et de l’Umih restauration Paris-Ile-de-France.
Les collectivités territoriales ne sont pas épargnées, comme l’a résumé le sénateur communiste Fabien Gay dans une question au ministère de la Transition énergétique mi-décembre: "Au mois d’août 2022, en plein pic d’inflation, le MWh s’achetait à 1000 euros sur le marché. Pour de nombreuses collectivités, ce moment concordait avec l’arrivée à échéance de leurs contrats d’achat d’énergie et signifiait, en conséquence, l’obligation pour elles de renégocier rapidement de nouveaux contrats. Si le gouvernement avait alors invité les collectivités territoriales à retarder au maximum la signature de ces nouveaux contrats, beaucoup d’entre elles n’ont disposé d’aucune marge de manœuvre pour reculer la signature de leur acte d’achat".
Résultat, "ces contrats ont été conclus sur la base de prix déraisonnables (…) qui ne reflètent plus le cours actuel des prix de l’énergie", expliquait le sénateur, dénonçant "la rente pérenne qui sera perçue par les fournisseurs alternatifs", lesquels "pourront facturer de l’électricité au prix du pic d’inflation et dans le même temps, se fournir au cours actuel du marché, c’est-à-dire à des prix bien moins élevés".
"Situation insupportable"
Plusieurs collectivités ou entreprises ont ainsi vu leur facture être multipliée par 2, 3 voire 5. Sur BFMTV, Julien Pedussel, artisan-boulanger dans l’Oise, décrit une situation "devenue insupportable" alors que son fournisseur lui a réclamé 12.000 euros en décembre, contre moins de 2000 euros avant la crise énergétique. Au même moment, un restaurateur de l’Essonne interrogé par Le Parisien se disait "démuni" après la reconduction tacite annoncée par mail de son offre pour une mensualité de 17.500 euros pendant deux ans, au lieu de 700 euros jusqu’alors. Une hausse "établie en cohérence avec les prix observés sur les marchés et nos propres coûts d’approvisionnement", se justifie pourtant TotalEnergies.
Mardi, Bruno Le Maire a tapé du poing sur la table en appelant les fournisseurs d’énergie a davantage aider les petites entreprises. Pour le ministre de l’Economie, "un certain nombre de fournisseurs d’énergie ne respectent absolument pas les engagements qu’ils ont pris au titre de la charte" signée en octobre dernier et selon laquelle les fournisseurs "s’engagent aux côtés de l’Etat pour aider tous les clients, professionnels comme résidentiels, à traverser cette crise et en particulier à proposer des contrats de fourniture d’énergie dans les meilleurs conditions".
Renégocier ou résilier?
Si tous les fournisseurs ne sont pas concernés, il s’avère effectivement que "dans certains cas, les prix que les entreprises ont signé nous paraissent très élevés, même en tenant compte du contexte actuel", note Caroline Keller, cheffe du service Information et communication du Médiateur de l’énergie, autorité publique indépendante chargée de proposer des solutions amiables aux litiges entre les fournisseurs d’énergie et les particuliers ou les très petites entreprises.
Craignant de ne pas pouvoir payer, certaines entreprises dont la facture a explosé ces derniers mois après reconduction de leur contrat cherchent à faire marche arrière. "On peut toujours essayer de renégocier", souligne Caroline Keller. Mais encore faut-il que le fournisseur d’énergie accepte. Pour l’y contraindre, le mieux est d’être en mesure de pouvoir contester certains éléments de ce nouveau contrat via une lettre adressée aux équipes de médiation dont disposent certains fournisseurs, avec l’aide d’un avocat si besoin.
En effet, il est parfois possible que certaines conditions de signature n’aient pas été respectées. Les fournisseurs ont par exemple l’obligation de prévenir leur client au moins un mois à l’avance de la reconduction tacite de leur contrat avec les nouveaux tarifs. Ce délai de prévenance est même passé à 2 mois pour les fournisseurs signataires de la charte en octobre. Il peut aussi être intéressant de comparer les tarifs proposés par le fournisseur avec les prix de référence publiés par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) pour dénoncer un éventuel abus.
A défaut de pouvoir renégocier leur contrat, les entreprises peuvent toujours décider de le résilier. Mais avant de franchir ce pas, "il faut regarder le montant des pénalités de résiliation et voir s’il est vraiment intéressant de signer un nouveau contrat avec un autre fournisseur", avertit Nicolas Leclerc. "Si c’est un contrat sur trois ans, les frais de résiliation peuvent être très importants. Il faut y faire très attention", confirme Caroline Keller. Comme annoncé mardi par Bruno Le Maire, seuls les boulangers pourront à ce stade résilier sans frais leur contrat de fourniture d’électricité en cas de hausse de prix "prohibitive".
Se renseigner sur les aides de l'Etat
Même si les prix ont baissé ces derniers mois, il est fortement déconseillé d’opter pour des offres type "à tarification dynamique". La période étant toujours incertaine, cela serait particulièrement risqué. Les petites entreprises dont le besoin de puissance est inférieur ou égal à 36 kVA peuvent en revanche revenir au tarif réglementé chez EDF pour plus de sécurité.
Enfin, reste à se renseigner sur les aides "qui sont aussi là pour amortir" le choc, rappelle Nicolas Leclerc. Les très petites entreprises peuvent tout d’abord bénéficier du bouclier tarifaire, tandis que les PME ont accès à un amortisseur d’électricité. Un guichet d’aide au paiement des factures d’électricité a également été mis en place par les services de Bercy. Des soutiens non négligeables puisqu’en cumulant toutes les aides, certains commerçants peuvent obtenir jusqu’à "40% de remise sur la facture d’électricité", a indiqué Bruno Le Maire.
Quant aux entreprises qui devraient encore souscrire une offre ou négocier un contrat, Nicolas Leclerc juge les prix actuels convenables mais préconise de ne pas "s’engager sur une période trop longue, jusqu’à fin 2024". "Il n’y a pas de raison d’aller plus loin. Le mécanisme Arenh s’arrête fin 2025 et le problème de l’approvisionnement russe sera peut-être réglé d’ici là, ce qui pourrait faire baisser les prix", prédit-il. "Il faut regarder le prix de référence publié par la CRE. Ça peut être une bonne base de négociation", conseille également Caroline Keller.
Reçus mardi à Bercy, les fournisseurs d’énergie se sont de nouveau engagés à prendre des mesures pour soutenir les artisans et PME notamment en "donnant des facilités de paiement pour les entreprises qui auraient des difficultés de trésorerie". Bruno Le Maire a prévenu de son côté que ceux qui ne respecteraient toujours pas la charte signée en octobre "verront leur nom divulgué publiquement de façon à ce que chaque client sache qui se comporte bien et qui ne respecte pas les règles".