BFM Business
Energie

"Ils sont dans une position difficile": comment l'AIE s'adapte à la vision pro-pétrole de Donald Trump

Donald Trump à la Maison Blanche le 22 juillet 2025 (photo d'illustration).

Donald Trump à la Maison Blanche le 22 juillet 2025 (photo d'illustration). - ANDREW CABALLERO-REYNOLDS / AFP

Très critiquée par l'administration Trump, l'Agence internationale de l'énergie insiste désormais davantage sur la sécurité d'approvisionnement que sur la transition énergétique. Un nouveau scénario, sans pic de demande, sera intégré à son prochain rapport.

Très remarquée pour ses scénarios traçant la voie pour sortir des énergies fossiles, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) se retrouve dans le collimateur de l'administration Trump, qui cherche à imposer sa vision d'un monde toujours gourmand en pétrole.

"Ils sont dans une position difficile", reconnaît une source habituée des discussions avec cette institution. L'écriture de son prochain rapport annuel sur les perspectives énergétiques, par exemple, passe pour un numéro d'équilibriste. Contacté par l'AFP, le ministère américain de l'Energie renvoie aux propos musclés de son secrétaire Chris Wright.

"Nous ferons l'une des deux choses suivantes: nous réformerons le fonctionnement de l'AIE ou nous nous retirerons", a averti en juillet le responsable dans une interview à Bloomberg.

La gouvernance de l'AIE et ses subventions sont notamment dans le viseur. Premier producteur mondial de pétrole, les États-Unis représentent un gros contributeur dans cette institution pilotée par ses 32 membres fondateurs

Créée en 1974 après le choc pétrolier pour faciliter l'approvisionnement en or noir des pays riches, l'AIE, instance de l'OCDE nichée à deux pas de la tour Eiffel à Paris, a opéré un virage spectaculaire ces dernières années avec ses scénarios décrivant un déclin des énergies fossiles et un essor massif des énergies renouvelables.

Ce qui vaut aujourd'hui à l'AIE et à son patron Fatih Birol d'être sous le feu des critiques de l'administration Trump, notoirement climato-sceptique et pro-pétrole.

"Volte-face"

Dans ce contexte tendu, l'AIE a insisté ces derniers mois sur la sécurité énergétique plutôt que sur la transition. L'un de ses récents rapports encourage à investir dans de nouveaux projets d'extraction pour enrayer le déclin naturel des champs d'hydrocarbures.

Une "volte-face", clame l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep): l'AIE avait présenté en 2021 une feuille de route "Neutralité carbone d'ici 2050" qui supposait de renoncer à tout nouveau projet pétro-gazier pour espérer contenir le réchauffement planétaire à +1,5°C par rapport à la période préindustrielle.

Ce scénario n'est pas enterré. Il figure dans le prochain rapport de l'AIE, son "World Energy Outlook" attendu en novembre, selon deux sources ayant eu connaissance d'une version de travail, qui peut évoluer.

Mais il y a une surprise: le retour d'un scénario abandonné en 2020, qui montrait comment les énergies fossiles continueraient de se développer en l'absence de politique de transition énergétique. "Une tentative de calmer un peu les États-Unis", estime la source habituée des discussions avec l'AIE.

Son retour est notable pour une agence qui avait présenté il y a deux ans un scénario anticipant un pic de la demande de "tous" les carburants fossiles (pétrole, charbon, gaz) dans la décennie, bien loin des prévisions de l'industrie pétro-gazière.

Dans le scénario réhabilité, "il n'y a pas de (demande) maximum", affirme Marc-Antoine Eyl-Mazzega, spécialiste énergie à l'Institut français des relations internationales, qui a eu connaissance des principaux aspects du rapport.

Ce changement "reflète cette transformation assez radicale des positions américaines sur l'énergie" et augure d'une "bataille de narratifs sur la transformation énergétique du monde", estime M. Eyl-Mazzega. Reste à voir si "les autres États membres sauront monter au créneau" au soutien des travaux de l'agence.

La décision de réintroduire ce scénario "s'est appuyée sur les retours de multiples parties prenantes", fait valoir l'AIE.

"Brouiller les pistes"

"L'administration Trump et par extension l'industrie pétro-gazière a besoin à l'heure actuelle d'avoir des narratifs qui disent qu'ils vont pouvoir continuer à vendre leurs produits pendant des décennies, que la transition n'aura pas lieu", décrypte Romain Ioualalen à Oil Change International.

Pour Neil Grant, analyste au centre de réflexion Climate Analytics, "nous devrions tous être préoccupés par les efforts de l'administration Trump pour tenter (...) de brouiller les pistes au sein de l'AIE".

Dans une entreprise occidentale de l'énergie, on relativise: "Il ne faut pas non plus fantasmer la soi-disante influence pro-pétrole et gaz de l'administration Trump au sein de l'AIE qui reste une institution indépendante et sérieuse."

Scruté chaque année par les analystes, gouvernements et industries, le prochain rapport "contiendra plusieurs scénarios, chacun pointant vers différentes trajectoires possibles pour la demande énergétique", indique l'AIE en soulignant qu'"aucun" de ses scénarios "n'était une prévision".

"La grande question, c'est leur interprétation, car ils servent de référence pour certains, voire de dogme", relève Marc-Antoine Eyl-Mazzega.

P.La. avec AFP