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"La parole pourrait s'obscurcir": les industriels de la défense inquiets d'un changement de gouvernement

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Sur le salon Eurosatory, personne ne veut ou n'ose évoquer ouvertement les conséquences d'une nouvelle majorité qui pourrait revoir les contours de l'économie de guerre.

La dissolution provoque des ondes de choc jusque dans le secteur de l'armement. Sur le salon Eurosatory, qui se déroule actuellement au Parc des Expositions de Paris Nord Villepinte, ni le ministère des Armées, ni les industriels ne veulent ou n'osent commenter un changement de majorité parlementaire. Et encore moins l'arrivée d'un nouveau gouvernement avec à sa tête Jordan Bardella, président du Rassemblement national, ou un membre du Nouveau Front populaire.

Mercredi, sur BFM Business, Marc Darmon, vice-président de Thales et président du Gicat (groupement des industriels de l'armement terrestre) n'a pas voulu aborder le sujet. L'inquiétude est tout de même perceptible sur le salon deux ans après l'annonce par Emmanuel Macron de l'engagement de la France dans une économie de guerre.

"Dans ces périodes, il y a toujours une inquiétude. La question est de savoir qui va décider et s'il y aura un changement de posture", souffle une source proche du ministère des Armées.
Good Morning Business à Eurosatory - 19/06
Good Morning Business à Eurosatory - 19/06
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"La parole pourrait s'obscurcir"

Pour éviter le risque d'une "rupture" dans la stratégie lancée entre l'armée et l'industrie, la Direction générale de l'armement devrait notifier une dizaine de contrats "prioritaires" avant le 7 juin, jour du second tour des élections législatives.

Côté industriels, les craintes d'un changement de ligne ont été évoquées. Plusieurs d'entre eux se sont lancés dans l'économie de guerre en produisant sur fonds propres et donc sans attendre de commandes. Une stratégie payante puisque l'on observe une augmentation des commandes de clients voulant acquérir rapidement du matériel militaire.

"La parole était claire jusque là, mais elle pourrait s'osburcir. On entre dans le temps politique", déclare à BFM Business un industriel.

C'est le cas pour des entreprises de premier plan comme le missilier MBDA, ainsi que KNDS France. Le fabricant du canon Caesar poursuit une révolution industrielle afin de produire dans un an 12 systèmes d'artillerie par mois et atteindre une capacité de production de 100.000 obus par an. L'entreprise a investi 300 millions d'euros sur fonds propres et a lancé des productions sans attendre des commandes.

Une économie de guerre propice à l'innovation

Le groupe Thales a annoncé lundi quadrupler la capacité de production de munitions de son usine de La Ferté-Saint-Aubin (Loiret) après une commande conséquente par l'armée française.

"Le site de La Ferté-Saint-Aubin va accroître considérablement les cadences de production qui vont passer d'une production annuelle globale de 20.000 munitions en 2023 à plus de 80.000 munitions par an d'ici 2026", a indiqué l'industriel dans un communiqué.

Arquus, qui produit des blindés légers, a développé deux nouveaux véhicules qu'il présente sur Eurosatory en première mondiale. Le Drailer est un robot téléopéré doté d'une motorisation électrique avec une protection de niveau 4, l'une des plus hautes pour ce type d'engin. D'une capacité d'emport de 700 kilos, il peut faire du transport de troupes, de blessés ou de matériel.

Autre développement interne, le MAV'Rx, un blindé lourdement armé destiné à la haute intensité et la guerre urbaine. Il est capable de transporter une dizaine de soldats dans des conditions climatiques extrêmes en étant piloté à distance.

"En parallèle d'une production en mode économie de guerre, nous menons aussi une innovation de guerre. Les prototypes de ces deux concepts ont été mis au point en seulement neuf mois", nous explique Emmanuel Levacher, PDG d'Arquus.

Une économie de guerre "bien légère"

Un changement en profondeur de la culture des industriels français qui, durant des décennies, attendaient des commandes fermes pour lancer une production ou plancher sur une innovation.

Pour rassurer les 4.000 entreprises de la BITD (Base industrielle et technologique de défense), Jordan Bardella, président du Rassemblement national, s'est rendu mercredi sur Eurosatory. Il a dit vouloir "poursuivre le réarmement du pays" et a même lancé une pique à Emmanuel Macron en qualifiant de "bien légère" l'économie de guerre lancée en 2022.

Si le message se veut rassurant, il reste à éclaircir pour une industrie qui représente déjà 2% du PIB de la France, un seuil réclamé par l'Otan que le président du Rassemblement national dit ne pas vouloir remettre en cause.

Pascal Samama
https://twitter.com/PascalSamama Pascal Samama Journaliste BFM Éco