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Ils sont passés de la haute couture de luxe aux équipements militaires: dans les coulisses de cette usine de Safran qui fabrique les parachutes des forces spéciales et du Rafale

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C'est une activité méconnue et pourtant très stratégique: la fabrication de parachutes pour les forces armées. Une tâche dont s'acquitte avec minutie une équipe de Safran Electronics & Defence non loin de Tours.

Ils équipent les forces spéciales, mais aussi l'équipe de France de parachutisme. On les retrouve dans le siège éjectable du Rafale, mais ils servent également "d'éclaireurs" quand on leur ajoute une lanterne. À chaque "voile" sa mission. Près de Tours, où Safran Electronics & Defence fabrique une grande partie de ses différentes gammes de parachutes militaires, on coud des toiles, on assemble des harnais, on relie des cordages, on plie et on empaquette, avant d'envoyer la cargaison aux quatre coins de l'Europe.

"Il y a une noblesse dans le geste de confection, un amour pour le produit", explique Fatima Guillaume, la directrice de l'usine, qui compte un peu plus de 250 employés, dont 65% sont des femmes.

Chez Safran E&D, qui a récupéré cette activité en rachetant Zodiac en 2018, on fabrique deux types de parachutes, précise Fatima Guillaume.

L'usine de fabrication de parachutes Safran Electronics & Defence près de Tours.
L'usine de fabrication de parachutes Safran Electronics & Defence près de Tours. © BFM Business

Il y a d'abord les parachutes "personnels": ils comprennent à la fois les parachutes tactiques, qu'on peut manœuvrer et qui équipent entre autres les forces spéciales; les parachutes hémisphériques, surnommé les "champignons" en raison de leur forme, qui déposent les parachutistes sur une zone donnée, et enfin, les parachutes qui sont intégrés aux sièges des avions de chasse et qui permettent au pilote de venir se poser au sol une fois éjecté de l'avion.

L'autre catégorie de parachutes, ce sont ceux qui servent au largage et au freinage: équipés de lanternes, ils éclairent une zone d'opération, mais ils peuvent aussi servir au ravitaillement par les airs de militaires en zone isolée… Voire larguer des véhicules blindés. Les parachutes de freinage sont quant à eux situés à l'arrière d'avions ou de drones et sont utilisés en cas d'urgence ou lorsque la piste d'atterrissage est très courte.

L'usine de fabrication de parachutes Safran Electronics & Defence près de Tours.
L'usine de fabrication de parachutes Safran Electronics & Defence près de Tours. © BFM Business

Du prêt-à-porter aux parachutes

"On est hyper responsable du produit qu'on fabrique, l'exigence de qualité est très grande. On ne peut pas tricher", déclare Gina, mécanicienne en confection – le terme consacré pour évoquer celles et ceux (il y a quelques hommes dans l'usine, de plus en plus, précise-t-on à BFM Business) qui cousent les différentes parties d'un parachute.

C'est un travail de précision, "au millimètre près", que Gina exécute avec rigueur depuis qu'elle a rejoint Safran E&D il y a quelques années, après une carrière dans les vêtements sur mesure et pour des marques de prêt-à-porter de luxe. Penchée sur une machine à coudre, elle apprend une nouvelle technique, car chaque changement de poste s'accompagne d'une période de formation. On ne coud pas de la même manière un harnais, une voile ou un sac.

Sécurité maximale

"Dans le prêt-à-porter il faut que ce soit joli, ici, il faut que soit 'sécurité'", expose Gina. "Dans le prêt-à-porter on peut faire un revers, rentrer des fils, couper, ici, c'est interdit."

Charlène a elle aussi une partie de carrière dans le prêt-à-porter. Aujourd'hui, elle vérifie les sacs dans lesquels les parachutes vont être rangés. Coutures, fermetures, tissu, rien n'échappe à son œil aiguisé.

L'usine de fabrication de parachutes Safran Electronics & Defence près de Tours.
L'usine de fabrication de parachutes Safran Electronics & Defence près de Tours. © BFM Business

Les directives sont strictes, car la sécurité prime. D'ailleurs, la consigne a été donnée de rester en retrait et de ne pas interrompre les employées avant la fin de leur tâche, pour ne pas perturber leur travail et les vérifications techniques associées.

A quelques mètres de là, on vérifie les toiles arrivées d'Afrique du Sud, l'autre site de production de Safran E&D pour les grandes séries. En chaussettes et sur un pan de moquette, une opératrice scrute les voiles étendues, elle effectue entre 200 et 250 points de vérification, précise Jérôme, le responsable contrôle du site. D'autres opérations de vérification se font sur des tables lumineuses, pour détecter le moindre défaut de fabrication.

Lorsque Safran élabore un nouveau modèle, les parachutes sont testés en conditions réelles, pour vérifier que les voiles s'ouvrent correctement, que les performances sont au rendez-vous et que la résistance est optimale. D'abord, avec des colis, puis des mannequins, avant de laisser les parachutistes d'essais réaliser des dizaines de largages de qualification. Une mission guettée par Alexandra, ingénieure système au sein de la direction technique… et également membre de l'équipe de France de parachutisme.

Une production qui augmente

Une fois tous les éléments cousus, assemblés, vérifiés, l'ensemble, qui pèse plusieurs kilos est empaqueté, selon un procédé bien rodé. Sur de très longues tables, au-dessus desquelles flottent les drapeaux des pays clients, on s'affaire à rassembler parachute, harnais, accessoires, on plie les voiles avec des gestes assurés. C'est l'ultime étape, avant la livraison.

Les parachutes seront envoyés en France, mais aussi en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Espagne ou encore en Pologne…

L'usine de fabrication de parachutes Safran Electronics & Defence près de Tours.
L'usine de fabrication de parachutes Safran Electronics & Defence près de Tours. © BFM Business

Fatima Guillaume déclare que la production a été multipliée par 2,5 en trois ans. Une augmentation qui a nécessité des embauches supplémentaires. Pour absorber le flux et soutenir la cadence, Safran a créé une école en interne, qui forme les personnes nouvellement embauchées. Celles-ci sortent d'écoles de formation ou sont en reconversion, et ont déjà réalisé un test d'évaluation en couture avant d'être intégrées.

Coralie, responsable de cette unité, supervise l'avancée des travaux avec Marie-Joëlle, formatrice. Elles s'assurent que les consignes sont suivies pas à pas et que les techniques de coutures sont maîtrisées, dans une logique "d'accompagnement permanent", pour assurer la montée en compétence.

Cette école interne permet à Safran E&D de fidéliser ses effectifs, tout en anticipant de potentiels futurs contrats. Safran a remporté fin 2024 un nouveau contrat avec la Direction générale de l'armement, pour fournir des parachutes multi-missions, capables de larguer un tandem jusqu'à 9.000 mètres d'altitude (sous oxygène). Le groupe surveille par ailleurs le programme de dirigeable Flying Whales, qui pourrait avoir besoin des compétences de Safran pour la construction de l'enveloppe extérieure de l'aéronef. Les machines à coudre ne sont pas près de s'arrêter.

Helen Chachaty