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"Il y a la guerre partout", "il faut un chef"... Au Bourget, Dassault et Airbus se frictionnent au sujet de l'avion de combat du futur

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En plein Salon du Bourget, les deux industriels ont manifesté leur mécontentement dans leur collaboration sur le futur avion de combat européen. Airbus a plaidé pour un partage des tâches plus efficaces quand le patron de Dassault a appelé à ce qu'il y ait "un chef". Le programme, qui doit entrer en phase 2 dans les prochains mois, a du retard.

Très clairement le Salon du Bourget 2025 est placé sous le signe de la défense. Au point que, de l'avis de beaucoup d'observateurs, le militaire vole la vedette au civil.

Pourtant, un grand chantier européen en la matière a du plomb dans l'aile: le Scaf (système de combat aérien du futur). Ou plus exactement la partie dédiée à l'avion de combat de nouvelle génération, le "NGWS", qui inclut les avions et les drones.

Pour rappel, ce dernier projet est mené par trois États européens (France, Espagne, Allemagne) et fait l'objet d'une collaboration orageuse depuis maintenant huit années entre Airbus et Dassault Aviation. La société espagnole de technologies et de défense Indra Sistemas participe également au meccano.

Le "NGWS" n'est pas au point mort. Mais il a pris du retard. "Nous avançons sur la phase 1b, nous sommes sur le début de la fin de cette phase", a expliqué, mardi 17 juin, Jean-Brice Dumont, chef de la division de programmes d'avions militaires d'Airbus Defense and Space, à des journalistes, lors du Salon. Mais "nous avons connu des difficultés d'exécution" dans cette phase 1b, a reconnu le dirigeant.

"Il faut un chef"

Cette phase repose sur la partie "design, conception" du futur avion de combat ("paper work", selon Jean-Brice Dumont). La phase 2, elle, doit débuter en 2025 ou 2026 et concernera le "hardware", la partie manufacturière, et doit aboutir à un démonstrateur capable de voler sur la seconde partie de la décennie actuelle. Le Scaf, dans son ensemble, est censé être opérationnel en 2040.

Loin de profiter du Salon pour se rabibocher, Airbus et Dassault Aviaiton ont davantage affiché leurs divergences. Même s'ils sont d'accord sur un point: la façon dont le projet s'articule ne leur convient pas. Mais pour des raisons différentes.

Le programme européen à proprement parler "est une bonne chose", a convenu Éric Trappier, le PDG de Dassault Aviation lundi sur BFM Business.

"Ce que je mets en défaut, c'est la gouvernance. Pour avoir un grand projet industriel compétitif et performant -car nous faisons des armements pas simplement des gadgets- il faut une gouvernance solide, un vrai maître d'ouvrage, c'est-à-dire un décideur unique au niveau des États, et un vrai maître d'œuvre industriel, soit un architecte qui a la liberté de choisir ses sous-traitants pour l'efficacité", a-t-il développé.

"Il faut un chef" qu'il faut choisir sur la compétence", a insisté Éric Trappier.

En avril, le dirigeant avait déjà évoqué "une tâche extrêmement difficile" avec le NGWS, s'exprimant alors devant les députés français. "Nous ne sommes pas capables de répartir le travail en fonction de ce que nous considérons être le plus efficace dans l’intérêt du projet", regretrait-il.

Ne pas aller dans des charges de travail "toxiques"

Chez Airbus, on déplore ces querelles intestines. Michael Schoellhorn, le directeur général d'Airbus Defence and Space, a déclaré lors d'une interview à Bloomberg au salon du Bourget qu'"évoquer de vieilles questions rend(ait) les choses délicates en ce moment". L'accent devrait plutôt être mis sur "la manière dont nous nous réunissons pour apporter quelque chose de positif et faire avancer le programme", a-t-il ajouté.

Jean-Brice Dumont, de son côté, a assuré qu'Airbus ne remettait pas en cause "le fait qu'il y ait un leader désigné sur l'avion de combat", Dassault "ayant le lead du 'pilier 1' (le pilier 2 étant le moteur, le quatrième le cloud, par exemple) du SCAF".

Mais le dirigeant a appelé à revoir les charges de travail entre industriels. "Ce que nous avons aujourd'hui est une répartition des charges qui correspond aux parts de nos gouvernements, qui ne doit pas être toxique dans ce programme", a-t-il expliqué.

"Il doit y avoir de la simplification dans la façon dont ce programme est façonné, dans la mesure où cela a été établi de façon un peu théorique car il n'y avait pas de guerre pressante lorsque ce programme a été initié en 2017", a rappelé Jean-Brice Dumont.

"Nous devons simplifier (ce programme), les règles pourraient être changées, peut-être certains éléments de la charge de travail pourraient être changés, pour rendre le programme exécutable", a-t-il insisté.

Selon lui, il y a urgence. "Nous devons aller plus vite" sur le Scaf. "Pourquoi devons-nous accélérer? Parce qu'il y a la guerre partout", a alerté Jean-Brice Dumont. "Nous devons faire l'Europe de la défense, cela doit arriver", a encore alerté le responsable.

Se tourner vers les Britanniques et les Japonais

Le dirigeant a aussi comparé Dassault et Airbus à deux "concurrents" en "passe de se marier", ce qui crée des "ambiguïtés", des difficultés.

Les fiançailles difficiles pourraient-elles pousser Airbus à se rapprocher avec le GCAP (Global Combat Air Program), le projet britannico-italo-japonais, concurrent du SCAF?

En septembre 2024, la banque Jefferies observait des avancées limitées sur SCAF alors que le GCAP "progress(ait) bien". "Il est possible que la France rejoigne le programme GCAP si le SCAF continue à stagner, bien que ce scénario reste peu probable à notre avis", écrivait-elle alors.

In fine, la question ne se pose pas vraiment pour l'ex-EADS. À Bloomberg, Michael Schoellhorn, souligne qu'Airbus est "toujours ouvert à faire plus avec le GCAP" et qu'une fusion des deux programmes "aurait été une bonne décision". Mais il reconnaît que cette option n'était pas "désirée politiquement", ce qui reste le point le plus important sur ce type de proojet. Le dirigeant s'est aussi (et quand même) dit "optimiste" sur la possibilité de trouver un compromis sur le SCAF.

Jean-Brice Dumont, lui, a davantage évoqué une articulation entre les deux programmes sur la question des armes (via notamment les missiles de MBDA) et de "l'interopérabilité, la connectivité".

Julien Marion