De 2 à 12 canons Caesar par mois: comment l'industrie de l'armement française s'est mise en ordre de marche (mais doit encore faire mieux)

Une chaîne d'assemblage d'un canon Caesar sur le site de l'usine d'armement KNDS à Bourges, le 21 mars 2025 dans le Cher - JEAN-FRANCOIS MONIER © 2019 AFP
C'est une phrase qui donne matière à réflexion: dans un entretien accordé au magazine Challenges, le Délégué général pour l'armement (DGA) Emmanuel Chiva a déclaré que "l'industrie de défense est capable, si on lui donne les commandes nécessaires, de doubler sa production à court terme, dans certains domaines".
Trois ans après le lancement de la guerre en Ukraine et dans un contexte géopolitique et économique incertain, alors que l'industrie de défense est sommée de se mettre au pas de l'économie de guerre, les cadences de production sont au cœur des enjeux, aussi bien du côté des grands donneurs d'ordre tels qu'Airbus, Safran, Dassault Aviation ou Thales que des 4.500 PME/ETI et startup qui composent la BITD française (base industrielle et technologique de défense).
Une multiplication par deux plus ou moins facile
"Certains segments comme l'artillerie, les drones ou les munitions ont fait leur mue suite au conflit ukrainien", énonce Vincent Desportes, directeur au sein du cabinet de conseil Avencore.
Ainsi en va-t-il du canon Caesar, qui était produit à deux exemplaires par mois, qui est passé à six par mois fin 2023, avec un objectif de 12 appareils par mois en 2025. Un succès mis en avant par le ministère des Armées, qui rappelle que les exemplaires cédés à l'Ukraine ont fait leur preuve sur le terrain.
Même constat pour le missile Mistral, produit par MBDA, dont la production est passée de 20 à 40 exemplaires par mois.
Une opération de multiplication plus facile à mener sur ces segments "multi-unitaires", qui impliquent de base de grandes quantités, plus compliquée pour d'autres: les commandes de frégates ou de sous-marins sont logiquement moins volumineuses – même si l'avion de chasse Rafale de Dassault Aviation est un contre-exemple: la production aura quasiment doublé entre 2023 et 2025, passant de 13 à 25 avions livrés.
Concernant les frégates de Naval Group, l'objectif serai plutôt de réduire les temps de production sur certains segments, en gagnant quelques mois, plutôt que de multiplier par deux les cadences – il manquerait de toute manière de la place en cale, selon un expert du secteur.
Cette augmentation de la production ne se fait pas en un jour: il faut environ 18 mois à deux ans pour gagner un point de cadence et s'assurer que la chaîne de sous-traitance est capable de suivre le mouvement, que ce soit en termes de stocks mais aussi de ressources humaines.
Un bon connaisseur du secteur explique à BFM Business qu'il manquerait des milliers d'emplois pour tenir les cadences désirées, dans des conditions satisfaisantes. Certains bassins d'emploi sont saturés, à l'image de Toulouse, haut lieu de l'industrie aéronautique, et les industriels ont lancé de véritables plans de bataille pour attirer – et garder – les meilleurs talents. A Bourges, où se trouvent notamment des sites de production de MBDA, de KNDS ou encore de Thales, la situation serait également tendue.
Un député renchérit: "on est encore loin d'un passage à l'économie de guerre".
L'export comme levier
"L'industrie de l'armement est une industrie particulière, qui dispose de deux leviers : la commande domestique et les contrats à l'export", explique Vincent Desportes.
Si les commandes de l'État semblent se faire attendre, les industriels du secteur ne sont pas attentistes pour autant, grâce aux contrats à l'export. D'ailleurs, l'un des enjeux sera de se structurer pour faire face à la fois aux commandes étrangères mais aussi de répondre aux commandes françaises à venir, tout en restant attentif aux "challengers", des pays comme la Corée du Sud ou la Turquie, qui grignotent peu à peu des parts de marché, sur le segment des drones ou encore des chars de combat.
Tenir dans la durée
"Il faut une réponse structurelle plutôt que conjoncturelle", indique le consultant d'Avencore, davantage en anticipation qu'en réaction.
La croissance ne peut pas être exponentielle, la capacité de production n'est pas extensible à l'infini. Après les changements à marche forcée, répondant au besoin conjoncturel mais tout de même efficaces, il faut à présent tenir dans la durée, dans la lignée les engagements de la Loi de programmation militaire 2024-2030 (LPM).
En conférence de presse fin avril, Emmanuel Chiva déclarait d'ailleurs que la DGA devait être "un investisseur avisé et responsable", capable de "concilier les difficultés budgétaires, l'exécution de la LPM et la prise en compte des nouvelles missions (aide à l'Ukraine".
Reste maintenant à confirmer les orientations budgétaires: "appliquer le mantra 'rien que la LPM, toute la LPM', ce serait déjà bien", prophétise un spécialiste du secteur.