BFM Business
Défense

Comment la Marine nationale rattrape au pas de course son retard sur les drones

placeholder video
Des essaims de drones sous-marins ou aériens, des hélicoptères autonomes en passant par une arme pour détruire les engins ennemis: l'innovation dans le combat naval passe par les drones, omniprésents cette semaine au salon de défense Euronaval à Villepinte.

Avec la guerre en Ukraine, les drones sont devenus un matériel essentiel pour toutes les armées. L'armée de Terre, l'armée de l'Air, mais aussi la Marine. Sur le salon Euronaval qui s'est tenu à Villepinte près de Paris cette semaine, les offres sont nombreuses avec des engins en tous genres. Ils volent, naviguent sur et sous les mers pour remplir toutes les missions possibles à bord de tous types de navires de surface ou sous-marins.

"Il y a un retard dans les drones qu'on est en train de combler", rappelle Emmanuel Chiva, le délégué général pour l'armement, lors d'un point presse.

Avec les industriels, le ministère veut coûte que coûte rattraper ce retard. Pour aller au plus vite, il ne s'agit ni de réinventer la poudre, ni de patienter une décennie, mais d'adapter pour la marine des systèmes qui ont fait leur preuve dans le civil ou dans d'autres applications militaires.

Dronisation "à marche forcée"

Cette stratégie porte déjà ses fruits. Sur le salon, impossible de rater cette dronisation "à marche forcée" menée par les grands industriels, mais aussi les ETI et le PME. Les drones sont partout, sur les stands du ministère des Armées, mais aussi chez Airbus, Dassault Aviation, Naval Group, Thales, Delair, Alseamar, Exail, Diodon ou ArkeOcéan. Il y en a autant chez les concurrents étrangers.

"Ils améliorent les capacités opérationnelles des unités navales", explique le général Jérôme Pellistrandi, consultant défense pour BFMTV.

Ces engins font du renseignement, ils inspectent les grands fonds des océans, mènent la guerre des mines et font même du combat avec des autonomies de quelques heures à plusieurs mois selon les technologies. À l'occasion d'Euronaval, la DGA, Exail et Thales ont d'ailleurs signé un accord pour fournir seize drones sous-marins, dont huit optionnels, dans le cadre du programme SLAMF (Système de lutte anti-mines du futur).

"La dronisation et la connectivité sont le futur du combat naval. Nous préparons l'avenir de notre supériorité opérationnelle en mer", annonce sur X le ministre des Armées Sébastien Lecornu.

L'Ucuv, drôle de nom pour un drone de combat

Ce futur est déjà en marche, comme nous avons pu le constater sur le stand du ministère des Armées. Un sous-marin sans équipage y trône en vedette affichant une silhouette de cachalot. C'est un drone océanique. Son nom: Ucuv, pour "Unmanned Combat Underwater Vehicles".

"Si vous avez un meilleur nom, je suis preneur", a lancé lors d'une rencontre avec la presse Emmanuel Chiva. Le défi est lancé.
L'Ucuv (Unmanned Combat Underwater Vehicle) de Naval Group.
L'Ucuv (Unmanned Combat Underwater Vehicle) de Naval Group. © Naval Group

Fin 2023, la DGA a notifié à Naval Group un accord-cadre portant sur les études, la réalisation et l’expérimentation d’un démonstrateur. Moins d'un an plus tard, une version a déjà effectué des essais en mer.

Pierre Éric Pommellet, PDG de Naval Group - 05/11
Pierre Éric Pommellet, PDG de Naval Group - 05/11
11:28

Le modèle présenté est un peu plus petit que la version définitive que prépare Naval Group. Il fera au final 10 mètres de long pour un poids à vide de 10 tonnes. Il sera lourdement armé pour effectuer des missions de combat en "zones contestées". Torpilles, missiles, système cyber?

"Nous ne savons pas encore quel type d'armement il emportera", indique le DGA.

Pour aller partout où il le faudra, l'Ucuv sera projetable depuis la terre, la mer et sera même aérotransportable.

"Avec ce projet, la France rejoint le cercle très fermé des États qui sont engagées dans la définition, le développement et l’évaluation d’un premier XL-UUV (système autonome sous-marin de grande taille)", indique Naval Group.

Donner des yeux aux sous-marins

Avec le BlackBird, Alseamar veut "donner des yeux aux sous-marins", comme l'explique Olivier Jacques, le spécialiste des sous-marins pour la PME du Var.

Cet engin furtif a été développé en seulement huit mois, un record dans l'industrie de l'armement. Il peut s'installer sur tous les submersibles disposant de sas d'éjection. Il est projeté à la surface depuis des sous-marins en immersion profonde. Une fois à la surface, le BlackBird prend son envol pour filmer en temps réel un environnement à risque. Plus besoin de remonter à la surface ou d'utiliser un périscope.

Pour observer les images, il est connecté à une balise reliée au sous-marin par une fibre optique de plusieurs kilomètres. En fin de mission, la balise et le drone se sabordent et coulent au fond des mers. Même si elles sont retrouvées, aucune trace de ce qui a été filmé ne peut être récupérée, ni même de la position du sous-marin.

Les drones autonomes de d'Arkeocean.
Les drones autonomes de d'Arkeocean. © Arkeocean

Le ministère des Armées présentait aussi l'Inca 2 développé par une autre PME française Arkeocean. En test depuis un an, ce petit drone (17 kilos et 75 centimètres de long) sera livré à la DGA en décembre. Il s'agit d'un drone sous-marin mis au point dans le civil dans l'énergie et l'environnement. Conçu pour naviguer en essaim (jusqu'à un millier) à 300 mètres de profondeurs, sa mission sera de patrouiller sur des dizaines de kilomètres pour repérer toutes activités suspectes.

Les drones aériens

Dans la catégorie aérienne, Delair ou Airbus ont mis au point des aéronefs adaptés aux missions en mer. Airbus présentait le VSR700, un drone multi-mission développé sur la base d'un hélicoptère Guimbal Cabri G2 dans le cadre du projet de Système de Drone Aérien de la Marine (SDAM).

Avec une autonomie de 8 heures - contre 2 pour un hélicoptère traditionnel - il peut mener des missions longues d'observation sans exposer les pilotes. Pendant sa mission, il est piloté depuis le navire par un opérateur. Mais pour décoller et aponter, c'est une intelligence artificielle qui prend les commandes pour effectuer ces manœuvres dans toutes les conditions météorologiques.

"Ces deux phases sont les plus dangereuses, surtout par gros temps. Cette technologie pourrait être installée sur des hélicoptères traditionnels", nous explique un représentant d'Airbus.

Lutte anti drone, un enjeu tactique et économique

Mais qui dit drones, dit aussi systèmes anti-drones et là encore, l'innovation se mène à marche forcée. Cet enjeu a été vécu sur tous les fronts, sur terre, dans les airs et en mer. La Marine française en a fait l'expérience en mer Rouge avec les attaques Houthis.

Les frégates françaises déployées dans la force navale Aspides ont été contraintes de tirer 22 missiles Aster 30 à un million d'euros l'unité pour détruire des drones à quelques milliers d'euros.

"Nous devons trouver une réponse adaptée pour affronter ces attaques en identifiant les drones ou les missiles. Pour cela, nous faisons appelle à l'intelligence artificielle", explique Emmanuel Chiva.

Une version navale du système Paseo de Safran, qui est utilisé par l'armée de Terre, a été mise au point. Dans le même esprit, le canon téléopéré RapidFire (Thales/KNDS France) identifie l'attaque et riposte avec une munition adaptée.

Le canon téléopéré RapidFire (Thales/KNDS France) identifie l'attaque et riposte avec une munition adaptée.
Le canon téléopéré RapidFire (Thales/KNDS France) identifie l'attaque et riposte avec une munition adaptée. © Thales

Pour ce canon de 40mm, les deux industriels ont mis au point plusieurs types de munitions dont l'A3B (Anti-Aerial AirBurst) qui a été conçue pour neutraliser des essaims de drones aériens.. Le prix d'une munition seraient bien moins cher que des drones low cost comme ceux que fournit l'Iran à la Russie ou aux Houthis.

L'autre innovation anti-drone présentée sur Euronaval est le Skyjacker de Safran qui avait été dévoilé sur Eurosatory pour la défense terrestre. Ce système détecte et d’identifie les drones, puis leur envoie un signal pour les brouiller et leurrer leur système de navigation. Skyjacker a été testé par la Fremm Lorraine en mer Rouge pendant les attaques Houthis. D'ici à la fin de l'année, trois systèmes seront livrés à la Marine nationale.

Cette manière duale de développement de l'armement fait partie de la feuille de route confiée par le ministre des Armées à la DGA. Le but est d'accélérer le processus de notification, mais aussi d'utiliser ce qui existe déjà dans d'autres applications en l'adaptant quand il s'agit de systèmes militaires ou en le militarisant pour les systèmes civils. Souvent accusée d'être trop lourde, trop lente ou trop bureaucratique, la DGA a montré sur Euronaval sa capacité à se réinventer.

Pascal Samama
https://twitter.com/PascalSamama Pascal Samama Journaliste BFM Éco