Casino fait la paix avec les actionnaires de Carrefour

C’est le temps des grandes réconciliations chez Casino. Son propriétaire et PDG, Jean-Charles Naouri tente depuis quelques mois de faire la paix avec ses ennemis. Et il en a plusieurs… Cette fois, c’est avec Philippe Houzé, le président des Galeries Lafayette et surtout, le premier actionnaire de Carrefour qui en détient 12,5 %. "Ils ont renoué des relations", assure un proche de Jean-Charles Naouri à BFM Business. "Ils se reparlent depuis l’an passé", ajoute-t-il. Dans l’entourage de Philippe Houzé on est plus flou et surtout prudent: "Il n’y a pas eu de grande réconciliation mais en tout cas, il n’y a plus de rancune, assure un de ses proches. De là à envisager une relation…"
Les deux hommes ont été partenaires pendant près de quinze ans. Entre 1997 et 2012, ils ont été copropriétaires de Monoprix avant une bataille tendue qui a vu Casino en racheter 100%. Et sont brouillés depuis. En 2018, lorsque Carrefour a tenté de racheter Casino, les discussions ont achoppé si vite que Jean-Charles Naouri et Philippe Houzé n’ont pas eu le temps de reprendre contact. "L’eau a coulé sous les ponts depuis la guerre autour de Monoprix, nous expliquait il y a quelques mois un proche de Philippe Houzé. Ils peuvent s’entendre si leurs intérêts convergent".
Ces signes d’apaisement sont importants. Car le PDG de Casino a aussi renoué des relations avec le brésilien Abilio Diniz, comme BFM Business l’a révélé le mois dernier. Lui aussi était son partenaire, au Brésil. Lui aussi a bataillé contre Jean-Charles Naouri qui a fini par lui racheter son groupe, Pão de Açúcar. Et lui aussi avait coupé toute relation depuis dix ans avec le patron de Casino. Abilio Diniz est surtout deuxième actionnaire de Carrefour avec 7,6% de son capital.
Casino ne veut pas rester hors-jeu
Cette paix des braves entre le propriétaire de Casino et les deux grands actionnaires de Carrefour intervient alors que la consolidation du secteur en France est sur la table. A l’automne dernier, Carrefour et Auchan ont étudié un mariage. Mais le PDG de Casino ne veut pas rester hors-jeu.
"On n’a pas l’intention de rester les bras croisés, confie un de ses très proches amis. On regarde ce qu’il est possible de faire, l’analyse est en cours".
Mais il voit bien que Philippe Houzé veut faire bouger Carrefour, tout comme Abilio Diniz même s’il n’est pas aussi pressé. Il voit surtout que l’empire des Mulliez est déterminé à repartir à l’assaut. Auchan continue à prospecter pour tenter une nouvelle approche après l’élection présidentielle. "Un bon projet n’est jamais mort", nous expliquait récemment un de ses dirigeants. "Tous ces acteurs souffrent et ont intérêt à se parler, note le patron d’une grande banque d’affaires. C’est un tango à trois où celui qui ne se marie pas perd".
Une situation financière très tendue
Les mains tendues de Jean-Charles Naouri à ses pires ennemis Philippe Houzé et Abilio Diniz ne sont pas anodines. Les deux principaux actionnaires de Carrefour ne sont pas favorables à un mariage avec Auchan mais ont toujours préféré un schéma avec Casino. Le Brésilien l’avait d’ailleurs proposé "il y a dix ans déjà", note un de ses proches. Dans l’entourage de Philippe Houzé, on assume ne pas croire à une alliance avec Auchan et vouloir sortir de Carrefour si elle se réalisait. Ce qui ne serait pas le cas si un rapprochement avec Casino était étudié.
Ce "réchauffement" intervient alors que la position de Casino se dégrade toujours plus. Les résultats 2021 n’ont pas été bons. Les ventes ont reculé, les marges ont chuté et la dette a augmenté. Son cours de bourse n’a jamais été aussi bas et valorise le groupe à seulement 1,7 milliard d’euros. La situation personnelle de Jean-Charles Naouri reste toujours tendue. Ses sociétés, propriétaires de Casino, sont toujours sous procédure de sauvegarde judiciaire. Il doit rembourser 1,9 milliard d’euros de dettes début 2025. Une échéance qu’il devra en réalité anticiper dans deux ans. Le temps presse.
Kretinsky et Lacharrière en embuscade
Le PDG de Casino reste sous pression de ses créanciers mais aussi de ses autres actionnaires. Car il n’est pas seul. L’homme d’affaires tchèque Daniel Kretinsky est monté à 10% du capital et réclame désormais un siège au conseil d’administration de Casino. "Il n’y a aucune raison qu’on lui refuse", explique un proche du groupe. Pourtant, il y a deux ans, Jean-Charles Naouri lui avait claqué la porte au nez.
Fin 2019, il s’était allié à Daniel Kretinsky en échange d’un prêt urgent de 233 millions d’euros. Mais quelques mois plus tard, il avait déchiré leur accord, préférant s’allier à Marc Ladreit de Lacharrière. Aujourd’hui, le PDG de Casino a aussi besoin de se réconcilier avec Daniel Kretinsky. Le tchèque est opportuniste. "Si tout se passe bien, il participera à la consolidation en France, sinon il profitera de la restructuration de Casino", décrypte un banquier qui le connait bien.
De son côté, Marc Ladreit de Lacharrière continue de soutenir Jean-Charles Naouri. Mais alors que le cours de bourse de Casino a été divisé par deux depuis son investissement il y a deux ans, il pousse à étudier toutes les options pour ne pas rester en dehors de la consolidation. Si la situation dérape, un accord prévoit qu’il puisse prendre la moitié du capital d’Euris, la société-mère de Casino. Lui aussi joue gros.
Toujours en froid avec le PDG de Carrefour
Au bout du compte, le PDG de Casino reste en froid avec un seul protagoniste et pas des moindres: le PDG de Carrefour. Jean-Charles Naouri et Alexandre Bompard sont en froid depuis leur "blitzkrieg" de quelques semaines en septembre 2018. A l’époque, les deux hommes avaient tenté d’ouvrir des discussions en vue d’un mariage entre les deux distributeurs.
Le PDG de Carrefour a toujours jugé que son homologue n’avait en réalité aucune volonté de négocier. De son côté, le patron de Casino n’a pas digéré cet épisode qu’il a toujours considéré comme une tentative de "raid" de Carrefour. Leur réconciliation reste une condition sine qua non avant tout rapprochement entre les deux groupes.