Augmenter le nombre de Canadair: une mesure indispensable ou un aveu d'échec?

Des dizaines de milliers d'hectares partis en fumée en quelques jours… Face aux incendies qui ravagent la Gironde, les Bouches-du-Rhône ou la Bretagne, les critiques se multiplient autour des moyens aériens mis à disposition des pompiers et de la sécurité civile. Faut-il plus de Canadair, ces fameux avions rouges et jaunes qui larguent des tonnes d'eau pour tenter d'endiguer le brasier?
La question a été posée à l'Assemblée nationale au ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin. "Il y a 21 avions et 35 hélicoptères, nous avons la plus grande flotte européenne de lutte contre le feu", a-t-il répondu, omettant de préciser que ces chiffres recouvrent des appareils différents.
"On a 12 Canadair qui peuvent être déployés, on a 6 Dash actuellement - on aura bientôt 8 - et trois Beechcraft", résumait le week-end dernier sur BFMTV Christophe Govillot, pilote de Canadair, qui appelle à lancer de nouvelles commandes d'appareils.
La flotte anti-incendie de la France
Les Canadair: ce sont les fers de lance de la lutte, capables de déverser 6000 litres d'eau par passage et de faire le plein en mer ou sur un lac.
Les Dash: ces bombardiers sont surtout utilisés pour faire de la prévention en surveillant le territoire et déversant, si besoin, 10.000 litres d'eau d'une traite. En revanche, il doit se poser pour remplir ces citernes.
Les Beechcraft: Ce ne sont pas des bombardiers d'eau mais des avions de reconnaissance et de coordination indispensables à la prévention.
Car cet épisode de canicule est venu rappeler que les feux vont se multiplier dans les années à venir. "Le risque incendie est présent partout en France", prévient sur BFMTV Jean-Louis Pestour, responsable national incendies de forêt à l'Office national des forêts (ONF). "On voit aussi que tout l'année, même en période hivernale, il y a un certain nombre de feux qui se déclarent (…) on va vers une extension du risque."
Extension du risque, et donc extension de la flotte? Pour Anthony Chauveau, président du syndicat de pompiers SPASDIS-CFTC à l'AFP, il est "urgent de renouveler et d'augmenter la flotte de Canadair, vétuste".
"Quand le feu apparaît, c’est déjà un échec"
Mais la question n'est pas simple et certaines voix doutent de l'efficacité de cette mesure. "A quoi servirait de les multiplier à l'infini?", s'interroge l'ancien secrétaire général du Syndicat des sylviculteurs du Sud-Ouest et auteur d'une thèse consacrée à la gestion des risques d’incendie, Christian Pinaudeau.
"Pour les forestiers comme les pompiers, quand le feu apparaît, c’est déjà un échec. Mais, comme souvent, l’État réagit plus qu’il n’agit pas lorsque tout va bien", souligne-t-il dans Sud Ouest. "Hélas, la guerre du feu est plus télégénique, plus spectaculaire que notre laborieux et peu coûteux travail de prévention."
Augmenter le nombre des Canadair est-il un aveu d'échec? Panser les blessures plutôt que de prévenir l'accident?
Selon lui, l'enjeu est avant tout de mettre en place une stratégie nationale de prévention. "La prévention est l'arme anti-feu la plus efficace et la plus rentable", explique-t-il, appelant notamment à mettre des zones tampons autour des habitations, à éviter "l'urbanisation tout azimut" et surtout à entretenir les abords des voies.
Pourtant, la prévention est bien la stratégie nationale, qui consiste à surveiller tout départ de feu et à réagir massivement dès les premières minutes. Sur les dizaines de milliers d'hectares brûlés chaque été, combien ont été épargnés?
Renouveler la flotte
En creux, l'urgence est surtout de renouveler une flotte de Canadair trop souvent à la maintenance. "Il y a 8 Canadair disponibles sur les 12, ce qui n'est pas du tout normal en cette période de feu" critique Christophe Govillot. "On a que 5 Dash sur les 6 et on a que 2 Beechcraft sur les 3. On a un vrai souci de maintenance, un vrai problème de moyens aériens disponibles pour pouvoir lutter efficacement contre les feux."
Le renouvellement des Canadair est un serpent de mer. En 2019, un rapport du Sénat rappelait que les deux-tiers des appareils ont dépassé les 25 ans. Il faut dire que ces avions coûtent cher à l'achat (entre 20 et 30 millions d'euros), l'usage (15.000 euros l'heure de vol), sans compter l'entretien régulier compte tenu de leur usage en situation extrême.
Une maintenance critique
Sur BFMTV, Frédéric Harrault, représentant de la Sécurité civile, est venu rappeler que l'entretien d'un Canadair n'a rien à voir avec un autre avion. "Il subit des chocs gigantesques" notamment en allant écoper l'eau. "Donc la maintenance d'un Canadair est critique, on ne peut pas jouer avec cela."
Vers une solution européenne?
"La flotte française fait partie des mieux dotées en Europe mais elle a forcément des capacités limitées, et l’UE est une solution pour y remédier", explique Alexandre Jouassard, porte-parole de la Sécurité civile à l'AFP.
Depuis 2019, la Commission européenne a effectivement mis en place une flotte commune baptisée RescEU. En réalité, les appareils appartiennent aux Etats mais sont financés par l'Union européenne. En cas d'incendies, le dispositif permet de venir en aide aux pays les plus touchés. L'année dernière, les Canadair français sont partis en Grèce. Cette année, ce sont les appareils grecs qui ont apporté leur aide à la Gironde.
A cela doit s'ajouter une réflexion sur la gestion des forêts, trop souvent basée sur la monoculture et parfois mal équipée pour les secours.
Quant aux nouveaux Canadair, ils pourraient arriver pour la prochaine saison estivale. Mardi, le commissaire européen chargé de la gestion des crises Janez Lenarcic a annoncé que la Commission européenne était en pourparlers avec des constructeurs aériens pour acheter de nouveaux appareils contre les incendies.