L’effet Donald Trump atteindra-t-il les banques européennes?

Donald Trump à la Maison Blanche le lundi 10 janvier 2025 - Andrew Harnik / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP
Des banquiers américains qui rient et des banquiers européens qui pleurent. Avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, c’est ainsi que les médias présentent ces jours-ci la situation comparée des banques des deux côtés de l’Atlantique.
Alors que les sociétés de services financiers et les fintechs européennes se préparent à une vague de nouvelles réglementations, les banques américaines ne cachent en effet pas leur enthousiasme face aux promesses de dérégulation de la nouvelle administration républicaine.
En Europe, il s’agit notamment d’achever la mise en place des normes rédigées par le Comité de Bâle pour rendre le système bancaire plus sûr après la crise financière mondiale de 2008. Ce qui signifie pour les banques, surtout celles reconnues comme "systémiques", de garantir leurs encours par toujours plus de fonds propres pour absorber leurs pertes potentielles sur les prêts et les transactions en cas de crise.
Vers plus de dérégulation aux États-Unis?
Les banques américaines estiment que ces exigences sont excessives, mal calibrées et qu’elles desservent finalement l'économie. Cependant, les banques outre-Atlantique bénéficient de moindres exigences réglementaires que leurs consœurs européennes, notamment en matière de couverture des opérations de marché. C’est un avantage qui favorise de meilleurs résultats et qui fait donc déjà imaginer une irruption à terme des banques américaines sur le marché européen, si la dérégulation de la nouvelle administration républicaine creuse encore l’écart. D’ores et déjà, la capitalisation de JP Morgan est supérieure à celle des dix premières banques européennes réunies!
On parle actuellement aux États-Unis d’un affranchissement général en matière de règlementation et même de gouvernance financière, touchant notamment le marché des cryptos ou celui de la dette privée. Tandis que, depuis quelques mois, tous les géants de Wall Street (sauf JP Morgan, dont le retrait pourrait néanmoins être prochain) ont quitté l’alliance bancaire mondiale pour le climat, la Net-Zero Banking Alliance créée en 2021 (toutefois, JP Morgan et Goldman Sachs ont récemment annoncé qu’ils ne mettront pas fin à leurs programmes internes de promotion de la diversité et d'intégration des minorités, selon cet article des Echos). Pour profiter de "l'effet Trump" en matière de règlementation, les établissements américains ont monté des équipes qui travaillent 24 heures sur 24 pour analyser les décisions de la nouvelle administration et l'impact qu’elles pourraient avoir sur leurs affaires et la situation de leurs clients, précise Boursorama.
À ce stade, le président Trump a seulement décrété un gel réglementaire. Au-delà, on lui prête l’intention de supprimer rapidement le Bureau de protection financière des consommateurs (le Consumer Financial Protection Bureau ou CFPB) ou au moins de limiter significativement son champ d’intervention, donc les règles qu’il est à même de faire appliquer. On parle ainsi de la règle limitant la capacité des institutions financières à facturer des frais de découvert ou encore de celle interdisant l'inscription des dettes médicales sur les rapports de solvabilité des particuliers. Notons cependant que la suppression de telles règles au niveau fédéral n’empêcherait pas les différents États de se doter de normes équivalentes à leur niveau.
Une réglementation financière qui s'étoffe en Europe
En face, l’Europe campe sur ses positions et indique ne pas envisager de modifier ses réglementations financières, l’entrée en vigueur de certaines dispositions –concernant notamment les nouvelles exigences en fonds propres- ayant été simplement reportée à 2026 (pour l’UE) ou 2027 (pour la Bank of England).
L’image s’impose ainsi d’une Europe gardienne des normes sages, face à une Amérique engagée dans une dérégulation sauvage et dangereuse. Ce qui revient d’abord à largement préjuger de ce que sera effectivement l’évolution réglementaire américaine. Et ce qui revient ensuite à considérer que l’Europe détient comme une sorte de vérité quant à la réglementation des marchés financiers. À l’encontre de telles caricatures et dès lors que l’Amérique devrait effectivement aller vers un assouplissement réglementaire, certains estiment cependant qu’il serait opportun que l’Europe prenne du recul et réfléchisse à ce qui fonctionne en matière de réglementation et ce qui ne fonctionne pas.
On peut notamment s’interroger sur l’exact bien-fondé de certaines sanctions réglementaires. Pour revenir aux États-Unis, la SEC, le gendarme américain de la Bourse, a récemment condamné la société de courtage populaire Robinhood à payer 45 millions de dollars de pénalités pour divers manquements à la conformité. Mais, pratiquement dans le même temps, la Cour d’appel fédérale de La Nouvelle-Orléans (à dominante républicaine) a jugé que la SEC outrepassait son autorité en exigeant de plusieurs fonds spéculatifs qu’ils fournissent davantage de données à leurs clients. La Cour a en effet estimé que les investisseurs de tels fonds sont assez avisés et n’ont pas besoin de cette protection.
Ce dernier jugement est intéressant en ce que, renvoyant à la responsabilité des investisseurs, il refuse de considérer a priori que les fonds d’investissements sont enclins à être dissimulateurs et leurs produits forcément dangereux.
Dans le même sens, une déclaration de Jeremy Barnum, le directeur financier de JP Morgan, lors de la dernière présentation des résultats de la banque souligne ce qui est sans doute le véritable enjeu d’un assouplissement réglementaire: "Tout ce que nous voulons, c'est un cadre réglementaire cohérent, rationnel, évalué de manière holistique, qui permette à une banque de faire son travail en soutenant l'économie et qui ne soit pas anti-banque par principe".