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Inondations, sécheresse... Ces communes qui ne trouvent plus d’assureurs

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Résiliation, hausse des primes et des franchises… Les relations se tendent entre les assureurs et les collectivités. En cause: l'augmentation des sinistres, essentiellement climatiques.

Cet été, la commune de Vitry-en-Artois a reçu un courrier de rupture du contrat d’assurance sur la responsabilité civile et la flotte automobile pour aggravation du risque climatique. Au 31 décembre prochain, la commune ne sera plus couverte. "Si on ne trouve pas de nouvel assureur, on ne pourra plus utiliser les voitures", assure un proche de la mairie. Pourtant Vitry n’a été touchée ni par les émeutes ni par les aléas climatiques, assure-t-il.

Cette situation n’est pas isolée. Dans une consultation en ligne menée par le Sénat, 20% des communes interrogées disent avoir subi une résiliation du contrat à l’initiative de l’assureur, "avec des durées de préavis parfois incompatibles avec le lancement d’un nouvel appel d’offres".

Une explosion des sinistres liés au climat

Ces chiffres sont dus à l’augmentation des sinistres, essentiellement liés au climat comme l’ont illustré les très fortes inondations de la semaine dernière. En cause aussi, les émeutes urbaines et la mise en cause des élus et collectivités en responsabilité.

Selon le bilan annuel de la fédération France Assureurs, les sinistres liés au climat ont coûté 6,5 milliards d’euros en 2023 aux assureurs. Après 1999 (16,6 milliards d’euros avec les tempêtes Lothar et Martin) et 2022 (10,6 milliards d’euros à cause des épisodes de sécheresse et de grêles), c’est la troisième année ayant coûté le plus cher au secteur.

Pour la société d’assurance des collectivités territoriales SMACL, "le coût des sinistres a été multiplié par 4 entre 2021 et 2022, et s'élevait à plus de 100 millions d'euros en 2022, soit une hausse de 300%."

En 2023, les sinistres climatiques pesaient encore lourds pour la SMACL et s'élevaient à près de 50 millions d'euros. "En 2024 la tendance restera supérieure aux années moyennes et dans les mêmes proportions" conclut la compagnie, confirmant un triste bilan.

Les prévisions montrent que cette tendance va augmenter. D’après la Caisse centrale de réassurance (CCR), les dommages causés par les sinistres dus aux catastrophes climatiques (inondations, sécheresse, submersion marine, cyclones, tremblement de terre) pourraient augmenter de 40% d’ici 2050. (60% si l’on prend en compte l’augmentation de la valeur globale des biens des assurés).

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Le désinvestissement des assureurs

Face à ce constat, les compagnies ne souhaitent plus assurer les communes. Les relations se tendent entre les assureurs et les collectivités.

D’après la consultation menée par le Sénat, 24% des collectivités ayant répondu n’ont eu aucune réponse à leur appel d’offre. Et quand elles recevaient des réponses, les montants des primes et franchises proposées étaient en forte hausse par rapport au contrat précédent.

48% des répondants ont évoqué une dégradation de la relation au cours des 10 dernières années et 24% une forte dégradation. Plus précisément, ce sont 29% des collectivités ayant répondu qui ont vu leur contrat d’assurance faire l’objet d’un avenant depuis le 1er janvier 2023 (pour 94% avec une hausse de la cotisation, pour 27% avec une hausse des montants de franchise). Certaines collectivités estiment que ces hausses ne sont pas justifiées.

"On ne veut pas d’une France a deux vitesses, avec une qui peut s’assurer et l’autre non" s'insurge Alain Chrétien sur BFMTV.

Pour Alain Chrétien, maire de Vesoul et auteur d’un rapport datant d’avril 2024 sur l’assurabilité des biens des collectivités locales avec Jean-Yves Dagès, ancien président de Groupama, "les maires concernés balancent entre la sidération, la colère et l’incompréhension".

Les communes "ne sont pas des clients comme les autres", explique t-il, à cause de leurs missions de service public de proximité indispensables à la vie sociale: crèches, écoles, gymnases, centres sociaux… "Sans assurance c’est tout un pan de notre société qui est mis à mal" martèle le rapport.

Sur le marché, une situation "d’oligopole" avec deux assureurs principaux

Cette désertion des assureurs s’explique en partie par une absence de concurrence sur le marché. Aujourd’hui, il n’y aurait que deux principales compagnies sur le marché: les groupes mutualistes Smacl, filiale de la Maif, et Groupama. Une situation "d’oligopole" dénonce le rapport d’Alain Chrétien et Jean-Yves Dagès.

La guerre des prix menée en 2010 a notamment provoqué "une sous tarification des contrats" qui a fait "fuir" de nombreux assureurs du marché. La sous tarification s’est inversée en 2023, avec des prix souvent trop élevés pour les communes. L’offre est si tarie aujourd’hui que certaines communes s’assurent… à l’étranger.

La prévention au cœur des réflexions

Le rapport Chrétien et Dagès appelle à changer la donne. L’objectif est de faire revenir les assureurs. Il préconise par exemple de modifier les procédures de passation des marchés publics en les assouplissant. Par ailleurs, la Caisse centrale de réassurance a officialisé jeudi 17 octobre la création d'un observatoire de l'assurabilité qui permettra d’identifier les endroits désertés par les assureurs.

Travailler sur la prévention est aussi au cœur de la stratégie: d’après la SMACL, "en nous appuyant sur plusieurs études, nous savons qu’un euro investi dans des mesures préventives par les collectivités permet à minima de réduire jusqu'à sept euros le coût des sinistres". Pour Stéphanie Durrafour porte-parole d’assurland.com à BFMTV, "il va falloir aller sur le terrain de la prévention et faire en sorte que les terrains soient adaptés au dérèglement climatique".

Louise de Maisonneuve