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Une espèce protégée qui fait des dégâts: les choucas des tours, accusés d'endommager les cultures agricoles

Un choucas des tours, le 26 septembre 2016 (photo d'illustration)

Un choucas des tours, le 26 septembre 2016 (photo d'illustration) - Bridgeman Images via AFP

Cet oiseau est protégé mais est accusé de détruire les récoltes des agriculteurs. Des arrêtés préfectoraux ont fini par donner le feu vert à leur abattage dans certains départements de l'Ouest. Des associations plaident pour des méthodes alternatives.

"J'aime mon métier, j'ai 52 ans, et aujourd'hui, j'ai peur de ne pas pouvoir continuer ma ferme". Un agriculteur laitier mayennais a lancé une cagnotte en ligne afin de l'aider à garder son exploitation. Frédéric Gouallier explique avoir perdu plus de 50 hectares de parcelles de maïs, soit "une perte de plus de 45000 euros".

"À cause de ce manque de maïs, je n'ai pas pu produire la quantité de lait pour la laiterie. En découle une grosse perte financière, et je n'ai pas pu régler toutes mes factures en temps et en heure", a-t-il écrit.

Les responsables pointés du doigt: les choucas des tours, ces oiseaux de la famille des corvidés, semblables à des corneilles, et reconnaissables à leur tête noire encapuchonnée de gris, leurs yeux aux iris blancs et leurs cris aigus. Mais ils peuvent aussi être la bête noire des agriculteurs, notamment dans le nord-ouest de l'Hexagone.

Des dégâts importants sur le maïs

Les choucas des tours provoquent "des dégâts sur les cultures qui peuvent être importants", explique à BFMTV Florian Barbotin, chargé de mission agriculture à la LPO Bretagne, notamment "à 70-80% sur le maïs" mais également sur d'autres céréales ou quelques légumes comme les choux ou les échalotes.

Ces dégâts s'observent notamment sur les silos d'ensilage et sur les semis et les premières levées de graines, à l'automne pour les céréales comme l'orge ou le blé, et essentiellement au printemps sur les cultures de maïs, détaille Romain Devaux, directeur du syndicat FDSEA Mayenne.

En 2024, dans les Côtes-d'Armor, les choucas des tours ont détruit "plus de 310 hectares de surfaces en blé, orge et maïs", rapporte la Chambre d’agriculture citée par Ouest-France. Ces dégâts représenteraient près d'un million d'euros de pertes.

Une espèce protégée pourtant abattue

Les choucas des tours sont une espèce protégée, tant au niveau européen qu'au niveau national, "comme une grande majorité des oiseaux", précise Florian Barbotin. En effet, cette espèce est en déclin. En revanche, au contraire, en Bretagne et plus largement dans le nord-ouest de la France, elle est en croissance depuis la fin des années 1970. Selon une évaluation, il y aurait près de 45.000 couples de choucas des tours dans le Finistère.

"C'est une espèce protégée donc on ne peut pas la chasser", indique Florian Barbotin. Sur sa cagnotte en ligne, l'agriculteur Frédéric Gouallier écrit à cet égard: "Il est strictement interdit de les tuer, sous peine de 150.000 euros d'amende et 5 ans de prison".

Pourtant, des milliers de choucas des tours sont tués chaque année. Une première dérogation a été accordée en 2007 dans le Finistère pour en faire abattre un certain nombre par des chasseurs homologués. "Depuis, il y en a chaque année et dans plus en plus de départements voisins", explique Florian Barbotin, qui cite notamment l'année 2021 où 16.000 choucas ont été "prélevés" dans le Finistère.

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Une situation qui est loin de convenir à de nombreuses associations environnementales et de défense des animaux. Ainsi, le 30 juin 2025, la justice a suspendu trois arrêtés préfectoraux autorisant le tir de 14.500 choucas des tours dans le Finistère, les Côtes-d’Armor et le Morbihan.

Elle a estimé que les solutions alternatives n'ont pas été assez explorées, comme l'exige pourtant le Code de l'environnement. En outre, les associations défendent l'idée que l'abattage de milliers de choucas n'a jamais résolu le problème des agriculteurs.

Vers une multiplication des dérogations?

Mais nombre d'entre eux ne sont pas d'accord. En Mayenne, la FDSEA plaide elle aussi pour une dérogation permettant de réguler l'espèce dans le département. Romain Devaux se base notamment sur l'exemple des corbeaux ou des corneilles, qui sont des "espèces susceptibles d'occasionner des dégâts (ESOD)" et donc qui peuvent être tuées selon des quotas, lors d'opérations encadrées, généralement via des systèmes de piégeage.

"Et les choucas des tours se comportent quasiment comme eux", affirme Romain Devaux.

Il l'assure: les prélèvements de corneilles et de corbeaux portent leurs fruits. "Les agriculteurs constatent moins de dégâts", déclare-t-il.

Pour motiver cette demande devant le juge, le monde agricole et d'autres associations mayennaises réalisent actuellement un recensement des populations de choucas des tours dans le département.

Quelles alternatives?

Mais alors, quelles alternatives pour protéger les cultures sans passer par l'abattage de ces oiseaux? "Comme c'est une espèce menacée, on ne peut que l'effaroucher", rappelle Romain Devaux.

"Mais, ça ne fait que repousser chez les voisins le problème et quand l'effarouchage s'arrête, les choucas reviennent", déplore le directeur de la FDSEA Mayenne.

Épouvantails ou cerfs-volants en forme de rapace sont utilisés pour essayer de les éloigner. Un effarouchage sonore est également possible à l'aide de "tonnfort", ces outils qui émettent des détonations régulières pour effrayer les animaux. "Le problème c'est que ça entraîne des perturbations pour les riverains et, en plus, les oiseaux finissent par s'y habituer", commente Romain Devaux.

Autre alternative: l'enrobage des semences avec des goûts, du piment par exemple, jouant ainsi un rôle de répulsif pour les oiseaux. Selon Romain Devaux toutefois, cette méthode ne fonctionne pas à tous les coups, notamment lorsque le maïs pousse et que les oiseaux peuvent s'attaquer aux tiges.

"On a très peu de moyens alternatifs, d'où le besoin de plus de données scientifiques sur l'espèce pour pouvoir demander des dérogations pour piéger ou tirer les choucas", ajoute-t-il.

La FDSEA plaide également pour un "appui technique" avec le développement de nouveaux outils comme un meilleur enfouissement des graines ou d'autres outils d'enrobage des semences plus efficaces.

Adapter le paysage agricole

"On a 15 ans de retard: on aurait dû plus investir dans la recherche dès 2007 et les premières dérogations", déplore de son côté la LPO Bretagne par la voix de Florian Barbotin.

"On a décidé de ne pas attendre l'État", affirme ainsi ce dernier.

Plutôt que d’augmenter les tirs contre les choucas des tours, la LPO Bretagne considère qu'il faudrait limiter l’accès à leur nourriture et bloquer les lieux de nidification, en obstruant les cheminées, par exemple.

En effet, des études sur le comportement des choucas des tours sont menées, notamment afin de comprendre leur présence, et leur croissance, dans certains départements français. "On est dans une logique de co-construction avec la filière agricole vu la défaillance de l'État: on a besoin de travailler avec les agriculteurs sur le sujet", martèle Florian Barbotin.

Ils ont ainsi démontré que ces oiseaux trouvaient dans ces régions "un cumul d'opportunités d'alimentation et de nidification et de lieux où se cacher", explique Romain Devaux, de la FDSEA. Les choucas se déplacent peu. Mais en Bretagne et dans les départements voisins, les nombreuses cultures de maïs proches d'habitations dispersées leur permettent d'avoir des lieux de nidification avec une alimentation aux alentours.

Autre problématique: "ils ont accès à une ressource alimentaire toute l'année dans l'espace agricole breton", explique Florian Barbotin. La diminution de cette disponibilité en maïs en hiver, notamment autour des bâtiments et silos agricoles, est considérée comme un enjeu central.

"On a aussi besoin d'argent pour rénover le vieux bâti des bourgs, comme les granges ou les églises pour éviter qu'ils y nichent", ajoute Romain Devaux.

"On crée nous-même nos problèmes"

Pour la LPO Bretagne, il s'agit également de comprendre "le rôle du paysage agricole sur leur comportement, notamment l'homogénéisation des cultures". Par exemple, le choucas des tours se retrouve quasiment sans prédateur ou concurrent en raison de la baisse de biodiversité dans le paysage agricole. "Ça favorise les quelques espèces qui arrivent à s'adapter", souligne Florian Barbotin.

"On crée nous-même nos problèmes, ce n'est pas aux choucas de payer pour ça", ajoute-t-il, rappelant que l'espèce a commencé à augmenter en Bretagne au début des années 80, soit avant qu'elle ne soit protégée. "Ce n'est donc pas ce statut qui a contribué à sa croissance mais notamment les conditions d'agriculture", affirme le spécialiste.

En attendant, comme l'indique le producteur laitier Frédéric Gouallier, "il n'existe aucune assurance pour dédommager les dégâts occasionnés" par les choucas dans les champs. Pour la FDSEA de Mayenne, de telles subventions ne sont toutefois pas une solution: "notre objectif c'est bel et bien de régler le problème", conclut ainsi Romain Devaux.

Salomé Robles