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La France et l'Europe se déchirent sur les "clauses miroirs" de l'accord avec le Mercosur: pourquoi Macron y tient tant?

Un agriculteur conduit un tracteur avec une banderole sur laquelle on peut lire "Mercosur, c'est non !" (photo d'illustration).

Un agriculteur conduit un tracteur avec une banderole sur laquelle on peut lire "Mercosur, c'est non !" (photo d'illustration). - Frederick FLORIN / AFP

Alors que d'autres pays poussent à une signature rapide de l'accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur, la France tente de faire barrage au texte en l'état actuel, réclamant des "clauses miroirs" pour protéger les agriculteurs.

L'accord UE-Mercosur finira-t-il par recevoir un feu vert européen… et surtout sous quelle forme? L'incertitude plane autour du projet d'accord commercial entre l'Union européenne et les pays sud-américains du Mercosur, dont l'Argentine et le Brésil, deux géants agricoles. En échange de nos voitures et de nos spiritueux, le texte ouvre la voie à la réduction voire l'élimination des droits de douane sur un certain nombre de productions agricoles, dont le bœuf, les volailles et le sucre – et cette même question agricole grippe les discussions entre les Européens.

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La Commission européenne, poussée par certains pays comme l'Allemagne ou l'Espagne, farouches défenseurs de l'accord commercial, espère obtenir rapidement sa signature. Mais une partie des États membres, la France et la Pologne en tête, veulent lui faire obstacle en l'état actuel du texte, chahutés par les protestations de leurs agriculteurs nationaux. Paris, dont la ministre de l'Agriculture multiplie les déplacements dans les capitales voisines, réclame l'insertion de "clauses miroirs" dans le texte pour le rendre acceptable et apposer sa signature en bas du document.

"Stratégiquement bon"

S'il l'a jugé "stratégiquement bon", Emmanuel Macron s'est récemment dit prêt à signer le texte s'il comportait ces fameuses "clauses miroirs". "Nous, en Europe, on a mis à nos paysans des règles. On leur a dit: 'Tu ne dois plus utiliser tels produits phytosanitaires pour produire parce que ce n'est pas bon pour le climat, pour la biodiversité ou pour la santé humaine' […]. Si vous voulez produire dans le Mercosur et importer en Europe ces produits, ça doit faire aux mêmes règles", a déclaré le chef de l'État dans un entretien à la télévision brésilienne au début du mois de juin.

Ces "clauses miroirs" permettraient d'éviter des distorsions de concurrence entre les deux rives de l'Atlantique, empêchant l'exportation vers l'Europe de productions agricoles latino-américaines qui ne respecteraient pas les normes sanitaires, environnementales et sociales européennes, alors même que les agriculteurs européens y sont soumis. L'entrée de ces produits agricoles sur le Vieux continent serait ainsi conditionnée au respect des standards européens.

Le terme de "clauses miroirs" se rapporte souvent à deux outils différents, bien que proches. Les "mesures miroirs" sont des dispositions insérées dans la réglementation européenne et qui s'appliquent à toutes les importations d'autres pays hors de l'UE, quel que soit le pays tiers. Il s'agit, par exemple, de l'interdiction des produits animaux traités avec des hormones de croissance depuis les années 1990 ou encore du règlement anti-déforestation qui s'appliquera à la fin de l'année 2025. La liste des "mesures miroirs" en matière agricole est toutefois très courte.

Antibiotiques de croissance

Les "clauses miroirs" en tant que telles, elles, désignent des dispositions similaires qui ne s'appliquent qu'à un seul accord commercial, après avoir été négociées entre les deux parties pour quelques produits spécifiques – c'est ce qui est réclamé aujourd'hui par certains pays, notamment la France, dans le cadre de l'accord UE-Mercosur. Des "clauses miroirs" ont par exemple été insérées dans l'accord commercial entre l'UE et la Nouvelle-Zélande, qui est entré en vigueur en mai 2024.

"L’utilisation d’antibiotiques promoteurs de croissance est encore autorisée dans les pays tiers, notamment ceux du Mercosur", or "cette pratique, interdite en Union européenne depuis 2006, n’est pas encore bannie de manière effective pour les produits importés dans l'UE", souligne un rapport de la Fondation pour la nature et l’homme, l'interprofession de la filière bovine française (Interbev) et l'Institut Veblen, paru en février 2024. L’utilisation de pesticides interdits en Europe est également évoquée, de même que certaines pratiques d’élevage prohibées sur le sol européen.

"Laisser croire que des dispositifs de mesures miroirs ou de clauses de sauvegarde pourraient encore être introduits alors que les négociations sont achevées et suffiraient à apaiser les inquiétudes ne fait qu’aggraver le sentiment d’injustice et d’abandon ressenti sur le terrain", a récemment déploré la FNSEA, premier syndicat agricole française, dans un communiqué de presse.

Une traçabilité "imparfaite"

Ces clauses miroirs restent effectivement difficiles à mettre en œuvre. La traçabilité de la production agricole, d'autant plus pour des productions agricoles venues de pays où les exigences sont moins fortes, n'est pas infaillible. Un audit européen avait révélé des contrôles insuffisants de la viande bovine au Brésil, où l'absence de l'hormone œstradiol interdite en Europe n'est pas garantie.

"En théorie, la viande traitée aux antibiotiques et hormones de croissance ne peut pas entrer, mais en pratique la traçabilité est imparfaite", précisait Stefan Ambec, économiste à l'institut de recherche Inrae, auprès de l'AFP en novembre 2024. "Il y a des audits d'abattoirs organisés avec la Commission européenne, mais on ne suit pas facilement le bétail avant cette étape", observait-il, ajoutant que "le traçage de la naissance à l'abattage, dans le Mercosur, n’existe qu'en Uruguay", explique-t-il.

Jérémy Bruno Journaliste BFMTV