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Caméras, ventouses et intelligence artificielle: comment la filière foie gras veut éviter le broyage des canetons femelles

Des canetons dans une ferme d'élevage de canards, le 10 septembre 2020 dans les Landes (photo d'illustration).

Des canetons dans une ferme d'élevage de canards, le 10 septembre 2020 dans les Landes (photo d'illustration). - PHILIPPE LOPEZ / AFP

La filière du foie gras prépare la fin de l'élimination des canettes d'ici 2030. Une cotisation a été mise en place pour financer le développement des techniques d'ovosexage.

D'ici 2030, plus aucune canette ne sera broyée. L'interprofession du foie gras a mis en place une cotisation pour financer l'ovosexage et mettre fin à l'élimination des canetons femelles, suivant les pas de la filière des poules pondeuses, légalement obligée en 2023 de mettre fin au broyage des poussins mâles. Le sexage des œufs permet de déterminer le sexe de l'embryon dans la coquille, afin d'éviter le broyage des femelles.

Après une dizaine de jours au chaud dans le couvoir d'Aignan (Gers), détenu par les coopératives Maïsadour, Vivadour et Cavac, les œufs de canes sont délicatement sortis de l'incubateur. Attrapés par rangées grâce à des petites ventouses, ils entrent dans une grande machine aux multiples tapis roulants. Une lumière rouge les éclaire brièvement pour faire apparaître l'intérieur à travers la coquille tandis que leur support effectue quelques rotations afin qu'une caméra puisse mieux photographier l'œil de l'embryon. Une intelligence artificielle analyse ensuite leur couleur.

Les ventouses ne libèreront que les œufs aux yeux noirs, qui repartiront dans leur couveuse, tandis que les œufs femelles et les œufs non fécondés partiront sur un tapis pour être cassés. La coule partira dans une usine d'aliments pour animaux de compagnie et la coque sera bientôt revalorisée. Quatre à cinq employés encadrent le processus.

Plus de temps pour grossir

Depuis le début des années 1990, la production de foie gras s'est massifiée et l'élevage des femelles a été abandonné au profit de celui des mâles, dont les foies sont jugés de meilleure qualité. Idem parmi les palmipèdes élevés pour leur chair, les femelles étant moins prisées car elles mettent plus de temps à grossir. Le robot ovosexeur ("sexage in ovo"), encore en calibrage à Aignan, a nécessité dix ans de recherche, deux ans de travaux, notamment d'agrandissement, et 4,8 millions d'euros.

L'objectif est de pouvoir ovosexer 20.000 œufs par heure dans ce couvoir qui reçoit 300.000 œufs et envoie 100.000 canetons mâles par semaine à 600 éleveurs. Actuellement, le coût par oeuf s'élève à 80 centimes pour un caneton vendu trois euros mais l'objectif est de passer à 30 centimes, indique Céline Mazé, directrice de l'accouvage palmipèdes chez Maïsadour. Bien-être animal – puisque les femelles ne sont plus broyées après éclosion –, place dans les incubateurs et donc gain d'énergie et d'eau, rémunération des œufs femelles et non fécondés... Les avantages sont nombreux.

Encouragée par l'État, l'interprofession s'est engagée "volontairement" pour y arriver et a mis en place un système de financement en interne, aidée sur la partie recherche et développement par le plan France Relance, se félicite Marie-Pierre Pé, directrice de l'interprofession (Cifog). Elle avait promis il y a quelques années qu'une solution serait trouvée d'ici 2024 et, si la crise de l'influenza aviaire a mis la filière en difficulté économique, elle a tout de même accouché l'année dernière d'un accord interprofessionnel.

25 centimes de cotisation

Chaque éleveur paye 25 centimes de cotisation par caneton acheté, issu ou non de l'ovosexage. Le couvoir reçoit lui 55 centimes par caneton ovosexé pendant trois ans, afin d'amortir les coûts de mise en place de la technologie. La cotisation évoluera au fur et à mesure que les couvoirs s'équiperont, les trois principaux (Aignan, Grimaud Frères et Orvia) l'étant déjà, bien que l'interprofession leur ait laissé jusqu'en 2030.

Le coût supplémentaire pour l'éleveur est censé être répercuté à l'engraisseur (gavage), puis au transformateur et enfin au client (restauration ou grande distribution), la dernière étape étant la plus compliquée "même dans le cadre des lois Egalim" censées protéger les revenus des producteurs, affirment plusieurs membres de l'interprofession.

J. Br. avec AFP