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Rome-New York en 5 heures: l'avion supersonique Overture dans les airs avant la fin de la décennie?

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Son fabricant, l'américain Boom Technologies, affirme avoir passé de nouvelles étapes industrielles et met en avant des pré-commandes de grandes compagnies aériennes. Mais le chemin avant de le voir voler risque d'être encore un peu long.

C'est le rêve de tous les passionnés d'aéronautique: le retour des vols commerciaux supersoniques. Avec la fin de l'épopée du Concorde en novembre 2003, le secteur aérien tournait la page d'une évolution technologique majeure qui a permis de raccourcir considérablement les distances.

Depuis cette date, nombreux ont été les projets pour relancer un avion dépassant le mur du son, soit 1234km/h (le Concorde évoluait lui à 2179km/h). Et beaucoup ont avorté au vu des investissements colossaux à consentir et des difficultés techniques à surmonter, à l'image d'Aerion ou même de Boeing.

Néanmoins, un acteur semble aujourd'hui sortir du lot avec un projet qui doucement prend forme. Il s'agit de l'américain Boom Supersonic.

Plus de 100 pré-commandes revendiquées pour Overture

Basée à Denver, dans le Colorado et fondé par Blake Scholl, la jeune entreprise développe depuis 2014 un avion baptisé "Overture". Elle a réalisé une levée de fonds de 100 millions de dollars en 2019, a reçu 130 pré-commandes de la part de compagnies américaines et japonaises et affirme avoir passé récemment de nouvelles étapes industrielles.

Overture, l'avion supersonique de Boom (vue d'artiste)
Overture, l'avion supersonique de Boom (vue d'artiste) © Boom Supersonic
Overture, l'avion supersonique de Boom (vue d'artiste)
Overture, l'avion supersonique de Boom (vue d'artiste) © Boom Supersonic

Avec son aile en delta, sa taille de guêpe et son nez pointu, le futur quadri-réacteurs a de grandes ressemblances avec le Concorde. Mais cela s'arrête là. L'avion s'appuie sur des technologies complètement différentes, notamment pour le fuselage en matériaux composites annoncé bien plus léger que celui du Concorde en alliage d'aluminium.

Il embarquera environ 70 personnes pour des liaisons transocéaniques. Avec une vitesse de 1.7 Mach (contre 2.2 pour le Concorde), il volera deux fois plus vite que les appareils actuels. L'Overture vise ainsi des trajets comme New York-Rome en moins de 5 heures (au lieu de 8), San Francisco-Séoul en un peu plus de 8 heures (au lieu de plus de 12 heures) ou encore Zurich-Philadelphie en moins de 5 heures (au lieu de 9 heures). 600 routes sur la planète seraient exploitables, affirme Boom.

"Le projet le plus sérieux dans le supersonique"

"Tout au long de cette année, Boom a continué à faire progresser ses programmes clés pour aller vers la production d'Overture avec de nouveaux fournisseurs mondiaux et des progrès de conception significatifs sur Symphony, le système de propulsion durable pour Overture", explique à BFM Business, un porte-parole du constructeur.

"La production d’Overture aura lieu dans notre superusine –qui devrait être achevée l’année prochaine– et vise à mettre Overture en service avant la fin de cette décennie", poursuit ce dernier.
L'usine en construction pour assembler l'Overture
L'usine en construction pour assembler l'Overture © Boom Supersonic
"Boom est le projet le plus sérieux dans le supersonique", explique François Sfarti, Consultant Principal chez Emerton Strategy à BFM Business.

"Ils ont levé des fonds, ils ont un démonstrateur et des commandes de compagnies. Leur calendrier visant à voler commercialement en 2029/2030 n'est pas aberrant", poursuit-il.

L'entreprise a multiplié les contrats avec des équipementiers aéronautiques comme le français Latecoere qui a en charge l’architecture complète du système d’interconnexion du câblage électrique d’Overture.

"On part d'une page blanche et on va travailler de la phase initiale jusqu'à la certification et l'installation des harnais (les faisceaux de câbles électriques d'une centaine de kilomètres, NDLR)", précise Thierry Etfymiades, directeur technique groupe.

Des challenges techniques encore nombreux

Latecoere, comme Leonardo, Safran Landing Systems, Collins Aerospace, ou encore StandardAero n'ont pas signé pour un projet hasardeux.

"Ils ont un prototype, depuis 2014, ils ont fait beaucoup d'études pour parvenir au design final de l'appareil qui aujourd'hui est gelé, ce qui est une étape très importante. Le planning nous semble raisonnable et évidemment, ce sont des choses que nous avons validées avant de signer le contrat", nous explique le responsable.

Thierry Etfymiades reconnaît néanmoins que les challenges techniques sont encore nombreux.

"L'avion volera à 60.000 pieds (18.288 mètres) car plus on vole haut, plus on va vite mais les conséquences thermiques sont importantes. Cela change beaucoup de choses pour nous en termes de contraintes, notamment avec le risque de déformations, de décharges, d'arcs électriques, c'est très différent de ce qu'on fait habituellement, on ne peut pas se baser sur l'existant, ni sur le Concorde" qui utilisait des technologies complètement obsolètes aujourd'hui. "À cette altitude, les risques sont amplifiés".

Et ce travail de développement doit s'inscrire dans des règles de certification très contraignantes en matière de sécurité.

Un moteur développé en interne qui pose question

Reste que sur ce volet purement technique, François Sfarti émet quelques réserves. "En réalité, pour le moment, on ne voit pas grand-chose, le démonstrateur est en fait un avion de chasse reformaté et ils vont avoir besoin de beaucoup, beaucoup d'argent pour continuer et parvenir à une campagne de vols d'essai. Un vol d'essai, c'est 1 million de dollars", estime notre consultant.

"Et puis il y a la question du moteur développé en interne, c'est surprenant étant donné que c'est un élément clé et c'est surtout très coûteux en R&D. Aucun avionneur ne fait ça", poursuit François Sfarti.
Le moteur Symphony de l'avion supersonique Overture
Le moteur Symphony de l'avion supersonique Overture © Boom Supersonic

De son côté, Boom affirme avancer sur cette question cruciale, "nous avons récemment mené l'étape d'ingénierie pour la conception du moteur Symphony, ouvrant la voie aux tests matériels en 2024", affirme un porte-parole.

La question des coûts d'exploitation de ce type d'avion se pose également. Le Concorde n'a jamais été rentable à cause du rapport négatif entre sa consommation massive de carburant et le faible nombre de passagers transportés.

"Overture consommera environ deux à trois fois plus de carburant par siège qu'un voyage subsonique comparable de classe premium", reconnaît le porte-parole. Mais consommera moins que le Concorde.

"La technologie et les matériaux ont considérablement progressé depuis le développement du Concorde, de sorte que nous pouvons construire des avions supersoniques plus rapides et plus efficaces", estime le responsable.

Un avion optimisé pour les carburants propres, mais...

Et pour contrer les futures critiques quant à l'impact écologique d'un tel avion en termes d'émissions de CO2, et alors que l'aérien est épinglé pour son empreinte carbone, Boom met en avant la carte SAF.

"Gardez à l’esprit qu’Overture volera avec du carburant d’aviation durable (SAF) à zéro carbone. Overture est conçu dès le départ et optimisé pour fonctionner avec du carburant d'aviation 100% durable. Boom alimentera les tests en vol de développement, de certification à l’aide de SAF", affirme le représentant de l'entreprise qui précise avoir "obtenu 10 millions de gallons (38 millions de litres) de SAF net zéro carbone par an auprès de Dimensional Energy et d'Air Company pour la durée du programme d'essais en vol d'Overture".

Pour autant, on sait que la production de SAF reste aujourd'hui insuffisante pour répondre à la demande et son prix reste bien plus élevé que le kérosène. Et ce sont les compagnies aériennes qui choisiront ou pas de voler avec tout ou partie de carburants propres.

À qui s'adressera cet avion?

Évidemment, cet appareil ne visera pas les voyages de masse mais plutôt le marché Business avec 70 places à bord, un marché de niche donc.

"Mais Boom est conscient de l'échec du Concorde qui proposait très peu de lignes. Ils ont mappé toutes les routes transocéaniques du monde car la clé c'est l'offre, une offre de niche certes mais une offre qui a aujourd'hui suffisamment de passagers. Ces passagers clients des classes premium des compagnies qui veulent aller plus vite", estime Thierry Etfymiades de Latecoere. Et en effet, il suffit d'observer le succès des jets privés pour s'en convaincre.

"Nous avons conçu Overture pour qu'il soit rentable pour les compagnies aériennes à des tarifs similaires à ceux de la première classe et de la classe affaires sur plus de 600 routes mondiales", confirme le porte-parole de Boom.

"Selon une récente étude, 80% des passagers de classes Premium disent qu'ils effectueraient un vol supersonique au cours de la première année d'exploitation et 87% sont prêts à changer de compagnie aérienne pour avoir accès aux voyages supersoniques", poursuit-il.

Pour l'expert François Sfarti, "un avion d'affaires est plus simple à remplir mais le frein majeur, c'est de ne pas pouvoir voler à vitesse supersonique au-dessus des villes à cause du bruit, le fameux bang supersonique. Cela limite les vols au seul transocéanique, donc cela limite le nombre de routes et donc le nombre d'avions à vendre. Si Boom parvient à régler ce problème, et je crois qu'ils travaillent dessus, cela leur permettra d'augmenter le nombre d'avions commercialisables".

La réponse viendra évidemment des compagnies. "La hausse massive du trafic depuis la fin du Concorde, les progrès techniques, le fait qu'il y ait de plus en plus de personnes riches" sont autant d'éléments positifs, estime l'expert. "Et montrer de l'intérêt pour cet avion supersonique est bon pour leur image".

"Et si ça marche, les avionneurs tels Airbus et Boeing pourraient investir", analyse le consultant même si aller plus loin semble peu probable. Ces constructeurs sont aujourd'hui concentrés pour répondre à une demande massive en appareils court-moyen courrier et surtout pour délivrer dans les temps.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business